Les cours sont suspendu(e)s.

École Saint-Merri, angle des rues Saint-Merri et du Renard (Paris 4e).

Livrée en 1974 par Alain Gamard, Daniel Lombard et Édouard-Marc Roux.

Bienheureux sont ceux, petits et grands, qui se côtoient, des heures durant, en ce singulier bâtiment au regard de sa destination. De retour dans le périmètre du plateau Beaubourg, tournant autour de ce qui en est la pièce maîtresse : le Centre Pompidou [ndlr : fatalement bientôt en une] et après avoir vu – dans des chroniques précédentes – l’IRCAM et le Quartier de l’Horloge, nous marquerons aujourd’hui l’arrêt devant ce qui fut certainement une des constructions les plus marquantes du quartier, et des Trente Glorieuses. Située à l’angle des rues Saint-Merri et du Renard, elle a ceci de particulier : ceux qui passent devant passent aussi dessous. Étonnant, non ! Mais qu’est-ce donc ? Dans les colonnes d’un quotidien local, la séduction le disputant certainement à la fascination, un journaliste lâcha le morceau en titrant son papier en ces termes : « Ce bâtiment de verre reposant sur des arêtes de béton… est une école ! ». Voici l’école Saint-Merri.

Sans doute par méconnaissance, la France est quelquefois malveillante avec ses architectes ; et il n’est pas rare, en effet, que les auteurs de réalisations majeures, aussi talentueux qu’ils soient, restent, on ne sait trop pourquoi, dans l’anonymat. Tel fut le cas, à l’instar de J. de Brauer ou Ph. Deslandes déjà vus, des trois architectes de cette construction : Alain Gamard, Daniel Lombard et Édouard-Marc Roux, assistés d’Alain Constantinidis (ingénieur béton). Pourtant, en janvier 1974, alors que l’école fut livrée en un temps record, on lisait encore ceci dans la presse : « […] l’une des réalisations modernes les plus remarquables de la capitale en terme d’insertion urbaine, d’intelligence constructive et de valeur d’usage. » C’est dire ! Le temps passe et la mémoire s’efface. Souvenons-nous. En ces années-là, le quartier des Halles et le plateau Beaubourg étaient le théâtre d’un réaménagement important, tant en surface qu’en sous-sol. Pour le premier, en plus du forum, du jardin, de quelques bâtiments alentours et d’une gare RER, était prévu un vaste anneau routier souterrain. Quant au second, pour dégager le chevet de l’église Saint-Merri et aérer le flanc sud du futur Centre Pompidou, fut créée une place sous laquelle sera construit une partie du futur IRCAM nécessitant la démolition d’un bâtiment scolaire municipal. Disposant alors, au pied de la future rampe de sortie de l’anneau routier, d’un terrain à proximité immédiate – parcelle presque vacante, d’une superficie presque suffisante et de configuration presque carrée -, la Ville de Paris décida d’y faire ériger une école modèle, la plus moderne des écoles communales.

À école nouvelle, pédagogie nouvelle ? Ordinairement non, là si ! On introduisit : un, la méthode à « aires ouvertes » (comprenez le principe du décloisonnement : des plateaux libres dotés de cloisons amovibles ou, si vous voulez, à « géométrie variable ») favorisant le travail en équipe ; deux, le principe d’un « équipement intégré » (c’est-à-dire le regroupement d’installations collectives complémentaires et autonomes dans le même bâtiment). Vous vous doutez bien que le programme fut plus que conséquent, il embrassait : une école primaire et une école élémentaire, leur bibliothèque, leur salle de musique, leurs cours de récréation ainsi que leur restaurant (et non pas une cantine, la cuisine se faisant sur place). Mais aussi, un gymnase et une piscine (tous deux également accessibles aux habitants du quartier en dehors des heures et jours de classe), sans oublier les locaux administratifs et techniques. Bref, cela revenait à inventer un nouveau « jeu de société » grandeur nature, et adapté à la taille des enfants, où il fallait imbriquer des volumes et des liaisons contribuant à créer un ensemble architectural d’abord fonctionnel et, à la rigueur, séduisant. Et pour bien faire, on parla même d’architecture participative : les enseignants échangeant avec les architectes – certes un temps, en raison des délais très courts – pour les accoutumer à la nouvelle pédagogie, reflet tant d’une politique que d’une époque, une société mouvante sollicitant une forme de souplesse pour plus de polyvalence. L’architecture devait suivre.

À pédagogie nouvelle, architecture nouvelle ? Ordinairement… Et nos quatre bonshommes (architectes et ingénieur) furent habiles. Ils imaginèrent, pour le côté pratique, un accès descendant au programme sportif et montant au programme scolaire grâce à un jeu de rampes à pente douce (amusant pour les enfants, les plus petits ayant un ascenseur réservé) qui croisera tous les éléments du programme jusque sur les toits où seront situées, loin de la pollution de la rue, en terrasses superposées (permettant un ensoleillement suffisant aux salles de classes), des cours de récréation… tels, pour cette petite Babylone, des jardins suspendus. Mais aussi, tant pratiques qu’esthétiques, pour s’aligner aux mitoyens et retrouver la surface du terrain plus haut (en raison de l’invraisemblable contrainte de la trémie de sortie du tunnel devant la façade !), ils conçurent de magnifiques portiques en béton formant des consoles en extension sous lesquelles les parents attendent leurs enfants à l’abri de la pluie et sur lesquelles semble être juste posée une grande boîte en verre (en fait un mur-rideau). Au final, ce geste fait apparaître un dessin d’une grande simplicité, alors que le projet fut d’une grande complexité ; voilà une architecture qui rompt avec le traditionnel et qui, grâce à de nouvelles formes architecturales, caractérise la volonté d’une politique (d’une pédagogie) nouvelle. Il en va ainsi lorsqu’est accordée aux architectes la liberté nécessaire afin que l’expression architecturale colle avec l’innovation programmatique. Quelle expertise, quelle force, quelle légèreté, et quelle élégance !

On regrettera, toutefois, le manque de suite dans les idées tant par la Ville de Paris quant à l’aménagement au sol (l’ancienne fontaine fut reconvertie en espace vert) et au délaissé urbain de la rampe automobile qu’au programme de réhabilitation – confiée à un nouvelle équipe d’architectes – qui divisera le hall d’entrée (l’idée d’accrétion disparaissant au profit de la séparation). Néanmoins, parce que l’école est avant tout l’apprentissage de la vie collective, et que l’architecture en est l’un des principaux vecteurs, ce bâtiment devait sonner le glas pour les écoles traditionnelles… et comme l’écrivît un journaliste : « L’histoire des murs, c’est aussi celle des ambitions. » Le temps passe mais la qualité demeure. Bienheureux sont ceux…

LFAC

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