Le dôme, un univers à notre mesure.

Palais des Sports, 34 boulevard Victor (Paris 15e).

Livré en 1960 par Pierre Dufau (et Victor Parjadis de Larivière) avec Richard Buckminster Fuller.

Ici et là, on parlera de Palais… ou plutôt d’enceintes sportives. À l’instar des églises (voir articles précédents), ce sont aussi des assemblées citoyennes, où cette fois l’admiration du public ne se porte pas sur un être suprême mais sur des femmes et des hommes – comme vous et moi – dans une proximité plus physique que transcendantale. Nous en aborderons deux (en deux articles successifs) qui, l’une comme l’autre, se révèleront à nous par leurs formes géométriques élémentaires, les plus belles sans doute parce que les plus simples. Pour la première d’entre elles, rendons-nous à la Porte de Versailles, au 34 boulevard Victor (Paris 15e), avant que le chantier de la Tour Triangle ne lui fasse de l’ombre. Lui, c’est le Palais des Sports, livré en 1960 par Pierre Dufau (assisté de Victor Parjadis de Larivière) avec la collaboration de Richard Buckminster Fuller.

Le Palais, à l'ouest (P. Dufau & R. Buckminster Fuller)

Après la démolition du Vélodrome d’Hiver en raison de sa vétusté et du terrible souvenir qu’il conservait, la ville de Paris décida la programmation d’une nouvelle salle pouvant accueillir les compétitions sportives (et autres spectacles). C’est l’architecte-urbaniste Pierre Dufau qui fut désigné pour en avoir la charge. Conscient de la problématique de visibilité optimale (sans éléments porteurs obstruant partiellement la vue) et des avancées audacieuses sur les couvertures légères de grande portée (grâce aux structures spatiales, tridimensionnelles), il fit venir à ses côtés un crack dans ce domaine: Richard Buckminster Fuller, inventeur des dômes géodésiques (et devenu célèbre par la suite avec son Pavillon des États-Unis à l’Exposition universelle de Montréal en 1967).

Architecte engagé et très productif, Dufau était de ceux qui prônaient l’association de divers intervenants dès l’étude du projet, histoire de faire converger les talents vers la recherche d’une meilleure architecture. Buckminster Fuller, lui, n’était pas un architecte administrativement parlant, car non diplômé; il se considérait d’ailleurs comme un inventeur et un constructeur. À vrai dire, c’était plutôt un original. Dans son coin, il mena une réflexion sur des solutions universellement applicables fondées sur les principes de la mécanique mais aussi sur la sensibilité manuelle – qui est certainement la vérité de l’artisan. C’est avec des bouts de ficelle, soucieux d’une standardisation des éléments (pour un faible coût de fabrication), de leur poids (pour le transport) et du meilleur rapport volume-surface au sol (pour un espace intérieur sans poteaux), qu’il mit au point ses maquettes de dômes géodésiques.

Atelier bricolage: soyez vous-même un Buckminster Fuller! Prenez une boule de polystyrène et coupez-la en deux. Assemblez dessus, comme une résille, des bâtonnets collés entre eux en formant des hexagones. Laissez sécher, puis renversez l’ensemble et retirez la boule. Ensuite, disposez des morceaux de carton – préalablement découpés en losange et pliés dans leur longueur – de façon à ce que leurs largeurs se superposent aux bâtonnets et leurs pointes se rejoignent aux centres des hexagones, puis collez-les. Attendez que ça sèche, renversez à nouveau l’ensemble et posez-le. Voilà, le tour est joué!

Flashback: le chantier, il y a 60 ans… La standardisation et la légèreté furent réglés par la fabrication d’éléments-types, tous faits d’aluminium. Composés de tôles incurvées (nos cartons) raidies dans leurs largeurs par des entretoises (nos bâtonnets), ils ressemblaient alors à des berceaux. Ceux-ci, disposés en étoile, étaient rivetées à leurs extrémités par des pièces d’assemblage (nos points de colle). Le montage se faisait au sol – à hauteur d’homme – par levées successives à partir d’un mât-grue provisoire positionné en son centre, commençant ainsi par le sommet et finissant par la base. Enfin, parce qu’il était auto-portant, un peu comme une coquille d’œuf, le dôme fut posé puis ancré à la structure des gradins. Voilà, en résumé, la sensibilité manuelle transcrite en génie artisanal… sans fondations ni échafaudages!

Sa non-conformité et sa conception ont fait de cette construction un jalon et un exemple: nous ne connaissons aucun précédents, sinon nombre de copies. Au premier regard, on l’identifie: le dôme. Et avec le temps, il est devenu monument, une représentation pérenne et culturelle; ou peut-être un palais, c’est-à-dire une résidence souveraine et urbaine qui renvoie au prestige de ceux qui l’ont conçu et l’occupent. Bref, ici, il y avait une philosophie, celle de la forme parfaite à notre destination et à notre échelle, où le corps de l’homme est la mesure de toute chose car telle est notre place dans l’univers.

Alors, je pose une question: est-ce la rotondité de ce dôme qui, dans une utopie concrète, nous rappellerait la représentation de l’harmonie du monde? Notre perception est ici transformée. Habituellement, une façade se présente en frontalité; et là, elle se développe dans notre profondeur de champ en un volume, une forme enveloppante, ronde et féconde, matrice d’événements heureux, et participant de la vue comme du toucher. De l’intuition à la poésie, voilà le chemin par lequel se dressent les belles constructions!

Le Palais, à l'est (P. Dufau & R. Buckminster Fuller)

Et lorsque le soleil donne, nous pouvons voir les rayons du soleil se jeter dans les pliages des tôles et en ressortir en éclats de lumière: splendeur d’un échange poétique où l’un caresse de sa lumière la peau de l’autre qui la restitue en une excitation scintillante. Durant un instant, ce miroitement me fit oublier le parement de tôle ondulée qui le ceint et donne accès aux gradins dans une forme de vague. Une vague qui, avec le temps, me berce et m’amène vers l’imaginaire, m’épanchant alors dans un songe. ‘Je plonge dans cette vague et j’émerge dans une mer intérieure pleine de spectateurs. Rejeté comme tant d’autres sur le rivage en gradins, je lève alors la tête et je vois cette voûte constellée de spots de lumière, comme un ciel intermédiaire, l’immensité noire d’une nuit étoilée…’. Transport intérieur dans l’antre du palais où le ventre de l’architecture est un lieu de vie et, une fois sorti, un prolongement en une constellation de berceaux scintillants. L’émotion plastique, révélée par sa forme clairement identifiable et sa taille humaine, affecte nos sens et convoque nos souvenirs.

LFAC
%d blogueurs aiment cette page :