horizontales vs. verticales, la battle.

Deux immeubles de bureaux, 72 et 86 rue Regnault (Paris 13e).

Livrés en 1971 et 1976 par Jacques de Brauer.

« Let’s get ready to rumble ! » Eh oui, Mesdames et Messieurs, pour la première fois et en exclusivité sur La façade au carré, nous aurons droit à une « battle ». NB : Pour celles et ceux peu adeptes d’anglicismes, il s’agira d’une joute, d’une confrontation artistique en quelque sorte. C’est pourquoi j’ai repris la célèbre phrase du speaker Michael Buffer pour introduire… « dans le horizontales corner, un immeuble de bureaux sis au 72 rue Regnault – bâtiment d’angle en R+8 où loge désormais la Direction générale des ressources humaines du Ministère de l’Éducation nationale – il fut livré en 1971, et dans le verticales corner, un autre immeuble de bureaux sis au 86 rue Regnault – d’un fort beau gabarit ma foi puisque composé de trois corps de bâtiments il accuse un R+5 (logeant diverses entreprises) surmonté de 4 niveaux de logements – il fut livré quant à lui en 1976. » Deux bâtiments, un seul maître d’ouvrage, le même architecte, cinq ans d’intervalle et deux partis pris : « Let’s get ready to rumble ! »

C’est donc ici, au sud du 13ème arrondissement, près de la Porte d’Ivry et à quelques longueurs de « camions de pompiers » de la Caserne Masséna (déjà vue dans nos chroniques), entre la rue des Terres-au-Curé et celle du Château-des-Rentiers, qu’est installé notre « ring ». Quant au promoteur, c’est une importante société d’ingénierie, et qui plus est spécialisée dans l’aménagement d’espaces de bureaux, la SERETE. Mais… il nous manque quelqu’un ! Eh oui, l’architecte : le méconnu Jacques de Brauer. Je dis méconnu parce que, pour sa bio, faut s’lever tôt ! À part un magnifique auvent pour une station-service construit en 1957 dans les environs de Lacq (Pyrénées-Atlantiques) probablement en collaboration avec le très productif Pierre Dufau, rien… le néant, si ce n’est ces deux seules constructions parisiennes. Bon, nous ferons avec.

Au préalable à la « battle », je dois tout de même vous avertir que l’immeuble de 1976 fut l’objet d’une réhabilitation récente effectuée par la star de la réhab’, Monsieur J.-J. Ory alias « réhabilitator »… pour des raisons – toujours les mêmes – thermiques et de sécurité : la façade fut donc déposée puis reposée, avec des « modifications mineures » (sic). Aussi, tout un chacun remarquera que le méconnu J. de Brauer plissait déjà l’habillage de ses façades avant que le styliste superstar Issey Miyake ne le fasse avec sa ligne Pleats Please ! Bref, les scories ayant été évacuées, nous revoilà au cœur d’une des plus importantes problématiques des architectes, choix cornélien s’il en est : « Quelle ligne maîtresse vais-je tracer pour animer le bâtiment, pour lui insuffler la vie ? » [Nota : ce monologue intérieur – sorte de « big bang » dans l’univers de l’architecte – n’est que pure fiction, sa présence est à titre indicatif.] Ou plus pompeux : « Au commencement était la ligne. », le verbe de l’architecte. On notera que, parfois, cette étape fut court-circuitée… mais, souvent, le premier coup de crayon donne la tendance. Et, sauf pour Claude Parent qui trancha le nœud gordien en optant pour l’oblique, il s’avère qu’il sera soit horizontal soit vertical (j’exclue définitivement celles et ceux qui commencent leurs croquis d’intentions – véritable brasier – par une courbe ou un ensemble de contre-courbes, synonymes de valses hésitations).

Donc… « Let’s get ready to rumble ! » Ça commence par un round d’observation, appelons-le truisme : les horizontales – parallèles à la direction de notre marche et donc à caractère terrestre – donnent une sensation de rationalité, alors que les verticales – qui nous somment de nous arrêter pour lever les yeux et les voir fuir vers les cieux – nous renvoient au sentiment d’infini. Au fil des rounds, administrées de manière répétitive, elles ne font – finalement – que croiser leurs intentions, traduisant une dualité bien naturelle : l’incessante discorde au sein du couple infernal raison-émotion. Vaine opposition toujours infructueuse, mais co-existence qui fait le sel de la vie. À titre d’exemple, permettez-moi de vous proposer un raccourci sur la façon de pacifier cette guerre intestine entre les horizontales et les verticales : la Fallingwater de F. Ll. Wright où les terrasses – vastes espaces extérieurs dessinés comme des rubans de soie grège – horizontales tempèrent la raideur des murs – bornant les espaces intérieurs et dressés comme des pitons de grès gris et rugueux – verticaux. Le maître a parlé.

Sauf qu’ici, dans notre joute au rythme très soutenu, chacun des protagonistes reste dans son style, sa partition monocorde, c’est-à-dire l’ordre (pour bâtir, c’est essentiel !). Et au gong de fin, vous l’aurez deviné, il n’y aura pas de vainqueur… le match était pipé d’entrée. En fait, le coach (l’architecte) demanda à son combattant (l’immeuble) de respecter sa tactique (résoudre une problématique) : le premier se devait d’avoir une belle allonge pour passer les gaines techniques en partie basse de ses allèges inclinées alors que le second, envoyant ses uppercuts (coups donnés de bas en haut), devait distribuer une ventilation naturelle d’étage en étage par sa double peau vitrée. Ici, et à double titre, tout s’est joué en façade. Tout, parce que l’architecte eut l’excellente idée de « rejeter » en façade les solutions afin de ne pas abîmer les plateaux libres aménagés en bureaux paysagers : pour plus de fluidité interne, déportons les fluides en surface. Et je maintiens l’expression « excellente idée » à l’égard de cet architecte inconnu, à tel point que R. Rogers et R. Piano la partagèrent – à leur manière – pour élaborer leur fantastique CNAC (« Beaubourg » pour les intimes). Il en va ainsi de certains partis pris sur lesquels le temps n’a pas de prise… peut-être sa façon d’acquiescer.

Oh dites donc, j’allais presque oublier ! Savez-vous que certains bâtiments, à peine livrés, ont déjà la cote auprès de ceux qui ont l’œil ? Au bout de 22 mn et d’abord en extérieur-nuit, le bâtiment de 1971 apparaît comme décor au commissariat de police dans le film Un Flic (1972) de J.-P. Melville, juste après la scène où Édouard (A. Delon) dit « Bon bah si tout va bien, on t’foutra la paix. » à Gaby (V. Wilson) qui lui réplique « Merci Édouard. » Que dire de plus !

LFAC

En savoir plus sur LA FAÇADE AU CARRÉ

Abonnez-vous pour poursuivre la lecture et avoir accès à l’ensemble des archives.

Continue reading