Style « retour d’Egypte »
2 place du Caire . Paris 2e
Immeuble d’habitation – 1828
« C’est à la première heure, ce matin, que je suis enfin sorti de cette maison où l’on m’avait enfermé, tout général que j’étais ». Puisque je vous dis que je suis guéri! « À l’heure où la brume matinale se dissipe, me rappelant les plaines encore fumantes de la bataille après la victoire, je repris mes habits de la Campagne d’Italie et me mis en mouvement vers l’Orient afin de couper la route des Indes aux Anglais ». J’ai horreur du thé! « Moi, général Bonaparte, monté sur mon cheval et bicorne sur la tête, je chargea sabre au clair et montais à l’assaut de l’Egypte, ici à Paris, et de sa place forte égypto-maniaque sis au 2 place du Caire, dominant le carrefour des voies de communication d’où s’organisent celles du Caire, d’Aboukir ou d’Alexandrie, et son passage pareil à un gouffre obscur ».
Sortant de mon exil bonapartiste aliénant, je remets mes habits de promeneur pour vous parler ici d’un remarquable spécimen de mode, représentation datée et fantaisiste, et pourtant figurant comme un témoignage des découvertes rapportées de l’Expédition d’Egypte. Entre allégorie et parodie.

Cachée derrière quelques savonniers – autrement et plus poétiquement appelés « arbres à lanternes » – , je devine la façade égyptienne d’un immeuble formant un angle avec la rue du Caire, et dont la sobre façade semble fuyante et tranche par son dépouillement avec sa voisine déguisée. Historiquement, nous sommes, selon les nombreux panneaux informatifs, situés non loin de la Cour des Miracles sur l’ancien terrain où s’élevait jadis le couvent des Filles-Dieu (des filles de joie repenties) qui une fois démoli libérait une vaste parcelle vendue en 1798 à des promoteurs, alors que le général Bonaparte remportait la fameuse Bataille des Pyramides. Lors de cette campagne, un corps de scientifiques et d’intellectuels réunis en une commission des sciences et des arts avait pour objectif de réunir et de publier les relevés effectués susceptibles d’enrichir une somme de savoirs et un matériel scientifique pour le bien de notre connaissance. Concernant les arts, c’est là que naquit le futur style « retour d’Egypte », suscitant une mode tant dans le vestimentaire que dans le mobilier, mais aussi dans l’architecture. La question qui se pose est celle de savoir s’il était bien raisonnable de maquiller nos façades d’immeubles d’habitation avec des masques éphémères, tels que seraient ceux d’un phénomène de mode?
En 1828, le sculpteur Gabriel Joseph Garraud apposa sa signature sous l’une des trois têtes de la déesse Hathor ornant les trumeaux du second étage. Dans le domaine des arts, l’hommage rendu à la magnificence d’une civilisation se concrétise par l’imitation des temples, en mémoire des batailles, de la grandeur des souverains ou de leurs dieux. Ici, une frise en bas-relief illustre des scènes de bataille du Pharaon et, à hauteur du promeneur, six colonnes à chapiteaux palmiformes organisent le plain-pied et l’entrée du passage couvert surmonté d’une corniche ornée d’un disque ailé. Ces représentations semblent tirées des dessins de Vivant Denon exécutés sur les sites des temples de Denderah et d’Edfou, voilà pour les fidèles reproductions.
Sauf qu’ici la carte postale est maculée d’expressions fantaisistes, en l’occurence par des fenêtres au style néogothique dans les étages supérieurs couronnées d’une corniche en attique au dessins caricaturaux, notamment celui en vogue à l’époque: le « profil de Bouginier ». Bref, au lieu d’un hommage rendu à la terre des Pharaons et à l’Empereur conquérant, est dessiné un pastiche mêlant tout et n’importe quoi, un bazar (ou plutôt un souk?) architectural, se moquant des règles, ce qui est propre à la fantaisie. Mais quoi, l’originalité doit-elle passer au broyeur du phénomène de mode? Sans doute: au cœur d’un musée fut érigée une pyramide de verre en guise d’entrée, un comble sachant que l’antiquité nous a enseigné qu’elle symbolisa la tombe d’un souverain couverte de pierres! À chaque civilisation ses métaphores. Les enfants du Siècle des Lumières furent sans doute moins emprunts de véracité que leurs ainés.

Certes, nous savons que le phénomène de mode est fondé sur le principe du coup de poing, c’est-à-dire de l’effet courant, comme celui d’un cours torrentiel qui nous entraînerait tous dans un même abîme, un entonnoir à fatras. Mais, faisons fi d’idéologie pour un temps et amusons-nous avec nos yeux d’enfants pour regarder cette façade excentrique, avec une tête de déesse aux oreilles de vache et, tout en haut, un type à gros nez qui pourraient ressembler l’un comme l’autre à des collègues de bureau. Et après tout, vive la fantaisie!
Vous devez être connecté pour poster un commentaire.