La pyramide, ou le temple au gazon oblique.

Ex-Palais Omnisports de Paris-Bercy, 8 boulevard de Bercy (Paris 12e).

Livré en 1984 par Michel Andrault & Pierre Parat (avec Aydin Guvan et Jean Prouvé).

Au début, disait-on dans certaines civilisations antiques, il y eu une butte primordiale, sortie des eaux… et ainsi naquit le monde. D’abord, il me rappela ce tumulus à l’origine du monde ordonné; puis, rapidement, s’imprégna en moi l’image du temple-pyramide, lieu sacré ici des dieux du sport en salle, presqu’émergé des eaux troubles du fleuve parisien. Inscrit dès lors dans mon inconscient, avec sa forme géométrique élémentaire et ses pelouses en pente, il m’est devenu familier. Je l’ai surnommé « le temple au gazon oblique ». Aujourd’hui rebaptisé « Arena », nous sommes au 8 boulevard de Bercy (12e) face à ce qu’on appela fort longtemps le POPB (Palais Omnisports de Paris-Bercy), enceinte sportive reconnaissable entre toutes et haut lieu parisien. Son avénement détrôna le Palais des Sports (voir article précédent) de la Porte de Versailles, il portera son titre; le Palais est mort, vive le Palais!

Visage du temple avec stigmates (Andrault & Parat)

À l’occasion de la restructuration du quartier Bercy, terrain où étaient installés jadis des entrepôts de vin, fut lancée au printemps 1979 une consultation afin de construire une salle modulable (avec une jauge supérieure à 17.000 spectateurs) pouvant accueillir plus d’une vingtaine de compétitions sportives différentes (et d’autres types de spectacles). Un grand parc, qui sera aménagé ultérieurement, magnifiera la perspective de ce périmètre coincé entre les berges de la Seine et les voies de chemin de fer de la gare de Lyon. Les exigences programmatiques concernant la salle étaient, principalement, de proposer une grande surface au sol libre, une modularité aisée et une intégration au futur site. À l’automne 1979, l’équipe lauréate fut désignée: elle était composée du duo Andrault et Parat (que nous connaissons déjà depuis notre article sur la tour Totem), augmentée d’Aydin Guvan et du génial Jean Prouvé.

Le duo d’architectes prit le parti de dessiner une pyramide. Évidée en son sein, on optimisait à la fois l’espace et la visibilité intérieurs. Grâce à sa forme, qui par nature rend oblique le plan des façades, on imagina de les revêtir de pelouses (ce qui fut une première) créant ainsi une amorce visuelle et dynamique du futur parc. Aussi, et coiffant le tout, il fut conçu (avec le concours de Jean Prouvé) une charpente en tous points originale. Hormis sa fonction de porter son poids propre et la couverture, posée sur quatre piliers imposants en retrait des gradins, elle devait avoir une accessibilité totale non seulement pour accueillir les locaux techniques (habituellement disposés en sous-sol) afin d’éviter les risques d’inondation dûs à la proximité de la Seine, mais aussi l’installation de ponts roulants suspendus assurant les transformations de la configuration de la salle en un temps record. Chez les modernes, une architecture est toujours un prototype qui lie forme et usage.

Andrault et Parat (tout comme Prouvé) furent bien des modernes. Toujours, ils ont outrepassé les règles, du classicisme académique au phénomène de mode. Toujours, ils furent saisis d’une liberté créatrice, et prirent le risque de la nouveauté. Leur architecture s’exprime d’abord en un geste total, associant l’espace et l’usage avec sa signification: la salle de sport est un monument. Mais aussi, elle est peinte et sculptée. Sculptée, où la forme brute – monolithique – du bloc pyramidal est travaillée aux ciseaux, tronquée à son sommet et aux arêtes rabotées, et qui selon moi concourt à dégager un espace visuel libre alentour propice à l’embrasser tout entier du regard; sa monumentalité désormais adoucie nous est alors plus accessible. Et peinte, par collages plastiques et raisonnés que j’argumenterai librement ainsi. Son couronnement d’acier, fin et aéré pour lui donner une impression de légèreté, est peint de couleur bleu tutoyant celle des cieux. Ses piliers en béton, massifs et bruns à la texture cannelée, nous suggèrent la force et la stabilité des troncs de chênes ô combien légendaires. Et enfin ses façades obliques, de grands aplats verts parce qu’engazonnés, tels les versants d’un coteau autrefois occupés par une halle aux vins et dorénavant reconvertis en fraîches prairies où se promène notre regard. Il est des architectures qu’on aime à saupoudrer de poésie.

Mais la poésie, pour certains, ça va un temps… et le retour à la réalité est parfois brutal. À preuve, on a jugé qu’il fallait discipliner le POPB et le conformer aux canons du nouveau monde. Résultat: un lifting typé « Arena » exécuté en 2015. Non seulement il fut mis aux normes de sécurité et d’accessibilité – juteux marché que celui qui fait de nos bâtiments d’hier des bâtiments aujourd’hui obsolètes -, mais nous en comprenons la nécessité. Mais aussi il fallait lui donner un bon coup de jeune, dans l’air du temps, pour augmenter son attractivité envers un plus large public. Ici et là, une profusion de verre et de lumière – jusqu’à l’éblouissement – auxquelles s’ajoutent les inévitables teintes blanc et or animant des espaces au mobilier stéréotypé. Symptômes fastueux d’un clientélisme de cour ou grandeur et décadence du temps présent? Sachez que lorsque les architectes évoquent leurs droits à la priorité lors des interventions ultérieures sur leurs œuvres bâties, ils reçoivent généralement – et franco de port – une volée de parpaings (le code des marchés publics) en guise de réponse! Pauvres que nous sommes…

Face au parc (Andrault & Parat)

Alors, afin de ne pas rester sur le visage de notre temple désormais couvert de stigmates, je vous propose un court finale dans la même tonalité que l’ouverture, rapport à l’impact visuel – et émotionnel – qu’il détient et nous transmet. Le Corbusier disait: « La Construction, c’est pour faire tenir; l’Architecture, c’est pour émouvoir. », prenons acte. Son architecture, qui la distingue d’autres souvent babillardes parce que stylées, est dépourvue de style; le style, et tenez-le pour dit, c’est ce que l’on donne à une architecture qui n’a pas de caractère, un déguisement en somme. Ici, elle véhicule des émotions: physique par son impression de masse, plastique par sa palette de couleurs et de matériaux, et mémorielle par la force tranquille qu’inspire sa géométrie, effigie intime du temple du sport en salle. Bercy, dans notre langage courant, c’est lui (le temple)… c’est elle (cette architecture).

LFAC
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