Immeubles de logements, place Henri-Frenay (Paris 12e).
Livrés en 1997 par Stanislas Fiszer.
Préface. En voilà un qui travaille ses façades comme personne ! Ou plutôt, me risquerais-je à dire, comme un romancier construisant son récit. Roman, d’après Le Petit Robert : « Œuvre d’imagination en prose, assez longue, qui présente et fait vivre dans un milieu des personnages donnés comme réels, […]. » La prose, chez l’architecte, c’est son écriture graphique, un phrasé fait de dessins qui ne sont rien d’autre que les mots de sa langue propre, celle de son milieu, l’architecture. Là, il fait vivre ses personnages : pilier, bandeau, loggia, remplissage, corniche… et bien d’autres encore, tous « donnés comme réels » car ces modèles nous sont familiers, déjà vus sur les façades constituant notre paysage urbain, notre décor. Mais le dictionnaire de Fiszer est quelque peu singulier, il se distingue par un vocabulaire re-pensé, re-dessiné, et ré-assemblé pour nous conter une histoire plus poétique, métaphorique, mais toujours lisible, et sensible. Ex ungue leonem.
Le contexte. Comme je sortais du hall 3, situé en contre-bas, s’ouvrait devant moi tel un éventail la place Henri-Frenay (Paris 12e). Elle borde par le nord-est la gare de Lyon, d’où je venais par la ligne 14, et amorce l’îlot Chalon qui, durant les années 1980, était lieu de vétusté et réputé pour son trafic de drogue. N’y tenant plus, l’aménageur établît alors le règlement de la ZAC, rédigea son cahier des charges et lança un concours dont Fiszer, lauréat, fut nommé architecte coordonnateur, veillant à l’homogénéité des lots. Oh ! la drôle de place. Telle qu’esquissée au schéma directeur, elle est de forme semi-elliptique. Plutôt agréable, on y voit des gens discuter assis sur les bancs, des enfants jouer dans les aires appropriées, tandis que les arbres et les lampadaires attendent les uns la lumière et les autres l’obscurité. Fiszer l’aménagea, et bâtit l’hôtel – à gauche – ainsi que l’ensemble en continu (abritant logements, commerces et activités du tertiaire) la bornant, tout en R+5+C, le gabarit traditionnel parisien. Ce fond de scène – le bâti – s’élève dans une transition douce et aérée par une galerie scandée d’une colonnade de piliers et de poteaux aux dessins recherchés, en introduction au récit architectural. Une atmosphère se manifeste grâce au talent de Fiszer, maître de l’espace et maître d’œuvre : l’unité du lieu est prétexte au dialogue.
Fiszer, vie et œuvre, en raccourci. Né en 1935 à Varsovie puis diplômé de l’École Polytechnique de Gdańsk, il fut invité à la nouvelle École d’Architecture de Nancy au début des années 1970 où il enseigna savoir et idées durant 30 ans. C’est-à-dire, s’appuyant sur une formation classique, il concevait son parti sur le modèle tripartite – base, corps et couronnement -, s’octroyant alors une liberté totale du type de remplissage. Et là, il s’en donna à cœur joie. Pour preuve, les locaux du CARAN (1988) que nous avons déjà vu dans une chronique passée mais aussi l’écrin dont jouissent les Aixois profitant de leurs cures aux Thermes de Chevalley (2000). Toujours des volumes à la qualité esthétique rare, enrichis d’ambiances chaudes relevées de matériaux nobles laissés à l’état brut, et toujours aussi un travail soigné des détails… jusqu’à la perfection. Rythme, références et imagination se combinent dans sa narration par un jeu subtil d’assonances et d’allitérations où le lecteur – le visiteur – découvre les lieux de l’intrigue animée de rebondissements – les détails – qui se succèdent pages après pages – ici et là – et éprouve un plaisir certain à s’attarder sur les descriptions des personnages – les traits du dessin, leurs conceptions artisanales -. Partant d’idées communes, les modifiant, inventant même des formes pour en augmenter l’expression, dépassant alors le familier pour lui donner une énergie nouvelle, il excite l’intérêt tel un conteur d’architecture. C’est ça, la patte Fiszer.







Narration et description. Enfin nous y voilà, de retour sur la place, dans un face à face… parce que la vérité n’appartient qu’à l’œil. Maintenant que nous sommes instruits, nous voyons qu’il s’est servi du patron de la réalité (rappelez-vous : base, corps et couronnement) pour tisser ses fantaisies – ses détails – et que rythme, formes et matériaux donnent chair à sa façade. Narration. Tout se lit aisément, parce que l’histoire est construite de manière rationnelle. D’abord de bas en haut (encore le modèle tripartite) puis de gauche à droite, chapitre après chapitre, déroulant le récit en des bâtiments qui se suivent par un léger biais et ressaut, comme un long corps articulé – le roman – retenant la place – le lieu des faits -. Et le roman fleuve, comme le logement de masse, n’est pas chose aisée. Description. Tous les éléments – les personnages – sont forts en caractères, tant par le dessin (tailles crénelées ou en caissons des bandeaux ou des corniches, formes imagées des garde-corps ou des claustras) que par leurs matérialités (l’un en pierre, l’autre en béton ou encore en fonte d’aluminium). Et pourtant, tous s’intègrent à la société de la façade, à la composition d’ensemble. Quelle habilité ! Tout fait corps, tout s’imbrique; et pour cause, Fiszer les associe par connivence, en bonne intelligence. Regardez comme tout paraît assemblé sans joints, par blocage l’un contre l’autre ou plutôt les uns avec les autres, par effleurement, comme des personnages se côtoyant et dialoguant entre eux. Ô dessein d’illusionniste, polytechnicien et architecte créatif dont le dessin n’est que justesse – même lors d’envolées lyriques – combinant à la fois fonction, forme et expression dans un cadre défini, de proportions et d’assemblage, mêlant l’intuition de l’homme de science à la concision du poète.
Postface. Je vous invite à prendre quelques minutes de votre temps pour aller voir – ou lire, et re-lire – cette belle langue, riche et musicale, tout en combinaison de détails d’où « jaillit l’étincelle sensuelle sans laquelle une œuvre n’est qu’œuvre morte » selon V. Nabokov à propos des grands romanciers. Et Fiszer, définitivement, fait partie de cette hiérarchie, de celle qui nous raconte une captivante histoire de notre architecture. Remerciement. À nouveau adressé à mon ami G.D. (il se reconnaîtra) de m’avoir initié à l’univers de Fiszer.
LFAC
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