Jouons… à maisons perchées!

Deux immeubles de logements, 42-44 & 46-48 rue Mstislav-Rostropovitch (17e).

Livrés en 2018 par AAVP et Aires Mateus.

À Clichy-Batignolles, “la bave du crapaud n’atteint pas la blanche colombe”… Quoique. Là où se construit un nouveau paysage urbain, parmi moult bâtiments m’as-tu-vu typiques de certains promoteurs, d’autres exposent des atours moins racoleurs, plus vertueux dans leur modelé à la plastique irréprochable. Tout de blanc vêtu dans une robe à la guipure brodée d’un réseau de poteaux et de planchers, un immeuble offre à la vue du promeneur une fine silhouette au sein de laquelle se nichent un lot de maisonnettes. Émanation d’un souvenir d’enfance de cabanes dans l’arbre, expression revisitée du penthouse ou folies d’architectes? Toutes sont haut-perchées, comme si la promesse du refuge procédait de l’escalade de sa façade. C’est un comble!

Sur les 54ha du site de la ZAC Clichy-Batignolles, ancienne friche ferroviaire, 10 furent accordés au magnifique parc Martin-Luther-King, oeuvre (bientôt terminée) de la paysagiste Jacqueline Osty et pièce maîtresse de l’aménagement du quartier. Par-delà les massifs arborés, les plans d’eau et les aires de jeux, chemin faisant, nous voyons se dessiner une perspective coudée, tirée au nord par l’imposante verticalité étagée du nouveau TGI (de Renzo Piano) et bordée à l’est comme à l’ouest d’un bâti hétérogène, expression d’une nouvelle donne, où chaque immeuble rivalise par ses effets de façade. Là, chacun apposa sa signature – son langage architectural – sur cette longue toile urbaine ainsi animée de juxtapositions fortes, comme s’il fut indiqué sur le carton d’invitation qu’il fallait de tout pour faire un monde pourvu qu’il soit créatif. L’effet est immédiat et saisissant. Mais qu’en sera-t-il dans la durée? La ville, œuvre perpétuelle, se renouvelle et se nourrit elle-même: à toute vie donnée, une histoire se crée.

Halte-là!”, dit le promeneur du parc à mi-chemin. À contre-jour, conçus par AAVP et Aires Mateus, se dessine un élégant immeuble blanc, à l’allure frêle, et au chevet duquel on identifie son semblable en contrepoint, plus modeste et peint en noir. Même s’il s’agit d’un travail d’équipe, à quatre mains, on y distinguera la touche ‘fashion’ de la jeune équipe française (AAVP) dans la combinaison des teintes noir et or de l’immeuble bas, et celle si caractéristique de l’agence portugaise, plus renommée, du creusement dans la matière, blanche de surcroît pour l’autre, rappelant les murs peints à la chaux des maisons de leur enfance. L’architecte, comme tout artiste, trouve dans son histoire personnelle la source de son inspiration; lorsqu’on regarde ce qu’il a fait, on voit ce qu’il a vu. Malgré la densité des 170 logements, et sans doute grâce à ce travail d’incision dans la masse lui ôtant du poids, de la lourdeur, nous avons une impression graphique de légèreté, voire même de fragilité; notamment concernant la tour, la “blanche colombe”, comme si elle fut faite non pas de béton armé mais juste d’argile. Ici plus qu’ailleurs, la façade est un instrument d’expression.

Oui, plus qu’ailleurs, parce qu’ici le promoteur a fait main basse sur les plans… Résultat: un bourrage. Trop de logements tue l’habitat! Là, le meilleur est à l’extérieur, et le poison – la “bave du crapaud” – à l’intérieur. Crevons l’abcès: l’architecte est un maître d’œuvre, pas un auxiliaire ou un supplétif; quand bien même si l’objet de nos chroniques ne porte que sur les façades, comme la peau du bâti vu du domaine public, puisque nous avons toujours décrit l’architecture comme l’art le plus universel qui soit: une œuvre globale. Elle a du contenu parce qu’elle se nourrit de tout, et notamment de la société, de sa culture et de sa technicité; et elle a un corps, elle véhicule des intentions et parfois même des émotions. Bref, elle raconte des histoires. Mais aujourd’hui plus qu’hier, lui échappe souvent le logement, épicerie tenue d’une main de fer par ceux qui confondent le sujet (les utilisateurs) et le budget. C’est dit!

Les architectes ont su établir ici un rapport entre l’environnement et leur bâti. Observons la tour blanche. Ses façades entrent en résonance avec l’atmosphère bucolique émanant du parc. Elles exhalent un parfum de calme par leur monochromie; et d’harmonie aussi, grâce à la répétition d’un modèle unique de baie vitrée soulignée par la sobriété du motif des garde-corps. Et, par sa haute stature, elle acquiert de l’importance, de la reconnaissance (c’est elle, et pas une autre) et donc une indépendance (le bâtiment bas, d’office, s’effaçant). Mais sur la rue, derrière et trop étroite, elle souffre de l’ombre des vis-à-vis du tertiaire qui “déteint” même sur le bâtiment bas. À l’ouest, seuls les haut-perchés bénéficient, soleil couchant, de leurs bonnes dispositions à l’égard des derniers rayons qui viennent frapper les pans de leurs maisons et, par réflexion, illuminer d’une nappe de couleur crème la sous-face des planchers débordants. Un peu de poésie que le piéton, s’il consent à lever la tête, peut partager. Mais retournons dans le parc, si vous le voulez bien, avant de jouer un peu. Regardant la façade se refléter dans les miroirs d’eau bordés d’herbe de la pampa, où l’environnement et le bâti se confondent dans un même décor, je crois entendre le chant des oiseaux peuplant les bouquets d’arbres du parc appelant les habitants nichés là-haut, au milieu des poteaux accrochés aux planchers comme des notes sur une partition, à une complicité harmonieuse et contemplative.

Alors que je quittais le parc cette musique en tête, un enfant me tira la manche et me dit: “on joue à maisons perchées?” Je lui répondis: “oui, si tu veux, jouons!… Maison, y es-tu?” Et, tout de go, il annonça: “Là, j’en vois une!…, et là une autre!…” Et son visage s’illumina, le mien aussi, et nous nous réjouîmes à toutes les compter, et à recommencer. “À moi!”, me dit-il, “… maisons y es-tu?” Les architectures qui chantent ont toujours des histoires à nous conter, sans doute parce qu’il faut de tout pour faire un monde… pourvu qu’il soit festif.

LFAC
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