17 à 27 rue des Cordelières – Paris 13e.
Immeuble d’habitation livré en 1976 par Jean Balladur.
J’étais désireux de vous parler un peu de l’architecture de Jean Balladur, me rappelant les bâtiments enthousiasmants – selon moi – qu’il érigea à la station balnéaire de la Grande-Motte dans une œuvre totale, comme le furent ailleurs les capitales administratives de Chandigarh avec Le Corbusier et de Brasilia avec Oscar Niemeyer. Mais à Paris, ses trop rares réalisations connues me convenaient peu. C’est en cheminant du côté de Croulebarbe, à l’ombre des érables et autres cyprès du square René-Le Gall, que les promesses édéniques que l’architecte annonçait dans le midi de la France me revenaient à l’esprit – par je ne sais quelle madeleine. Du 17 à 27 rue des Cordelières (Paris 13e), nous rejoindrons alors un jardin public où nous établirons le siège de notre contemplation.
Prenant la rue des Cordelières par le boulevard Arago, c’est au croisement de la rue Émile-Deslandres que nous découvrons un ensemble de 190 logements, composé de deux immeubles: un bâtiment de 5 étages joint, par un coude, un bâtiment plus haut (9 étages) en son centre. De ces deux immeubles se dégagent trois impressions distinctes. Droite et fuyante dans la perspective visuelle, la façade du bâtiment bas semble – par son alignement sur rue – « raccrocher » l’ensemble à l’univers urbain ordinaire, celui du bruit et de la fureur de l’omniprésente circulation automobile. Tout en arrondi à partir du coude, celle du grand bâtiment – quant à elle – se dégage de la rue par un espace paysager, frais et ombragé, et semble par sa courbure nous « guider » vers l’entrée du jardin, à partir duquel nous observerons – plus tard – l’ultime impression, celle de la troisième façade.

Il me semble que Jean Balladur a su bâtir une architecture qui s’est inscrite dans l’histoire parce qu’il s’est attaché à promouvoir son art selon trois principes majeurs: « l’homme est la mesure de toutes choses » d’après le précepte de Protagoras, construire avec son temps – parce que l’architecture est un art constructif suivant une variable temporelle d’ajustement, et bâtir une architecture heureuse – qui est une discipline du vivre à l’intérieur et du vivre autour. Bref, une trinité qui pourrait se résumer ainsi: l’Homme pour étalonner, le progrès technique comme outil, et du contrat social pour un environnement pratique et esthétique. Rappelons, pour mémoire, que Jean Balladur avait entrepris des études littéraires, avant de s’engager dans la Résistance à la fin de la guerre et finalement se tourner vers l’architecture. Bien lui en a pris, la profession a toujours eu besoin d’un personnel issu d’horizons culturels. Comme il bâtissait cet ensemble, à la Grande-Motte il signa une réalisation appelée « Éden »; ne nous y trompons pas, ce n’était pas la fatuité qui le gagnait mais, sans doute pour raccommoder le passé, promettre à certains un retour au jardin dont ils furent chassés. Nous y reviendrons.
Là, je ne vous parlerai pas du système constructif, parce que ce n’est ni le lieu ni l’ambiance (et encombrant dans les limites du texte). L’essentiel est ailleurs, dans l’idée d’un bonheur de vivre en communauté. Car l’architecture est un cosmos en miniature, à échelle humaine. Je vous suggère plutôt une brève étude comparée avec la barre Dubuisson (voir article précédent), histoire de voir que les formes d’architecture sont plurielles, bien que buvant à la même source. Ici, ce n’est pas la façade sur rue qui l’emporte, mais celle sur jardin: les deux s’orientent au sud-est, vers les soleils neufs du matin. Ici, l’architecte ne mise pas sur la droite ligne, mais sur la courbure de son bâtiment: le trait droit et la courbe sont les deux signes premiers du dessin. Ici, la façade n’est pas lisse, mais creusée comme une ruche: à chacun son option sur la dialectique du dedans et du dehors. Tous deux, pourtant, avaient la même ambition: par la façade, et c’est mon impression, révéler le fonds humain, par le cadre d’une relative intimité envers le monde extérieur, et en l’occurrence ici par ces balcons – comme des alcôves – où réside sur chacun d’eux un peu de soi.
La tentation du balcon. J’aimerais ici l’évoquer, brièvement, dans une suite de clichés instantanés. C’est sortir de la cellule du logis, et aller goûter le climat. C’est être chez soi et en plein air, que l’on hume. C’est peut-être une poche de tranquillité, mais c’est aussi pouvoir saluer son voisin dans un trait d’union. C’est être nimbé de la lumière du jour avec sa vérité, ou plongé dans la nuit obscure et ses mystères. Enfin, c’est être aux premières loges du monde, là où désormais notre regard porte plus loin. C’est la banquette avancée vers l’infini des possibles, où le désir d’escapade – quasi immobile – est plus introspectif que physique.
Comme je vous l’ai déjà indiqué dans mes précédents récits, le génie des lieux nourrit l’architecture. Et ici, l’environnement est primordial. Cette façade sur le jardin, c’est le cœur – battant – du projet. Le bâti et la nature, ensemble et chacun à sa place: c’est l’ordre des choses. Mais aussi en symbiose et en résonance, l’un dans les bras de l’autre dans une étreinte admirable: c’est l’union parfaite du minéral et du végétal. J’y vois (attendu la vision comme une représentation de l’imaginaire) une vague dessinant le bâtiment, tout écumante de balcons, et projetant les âmes – sensibles – sur un rivage paysager. Balladur nous paie un billet retour aux Hespérides… C’est presque biblique! Là, je vois une reproduction balladurienne comme planche d’appel poétique à la puissance des mythes. Mais, en écrivant cela, je sais que mes photos ne sont pas à la hauteur des espérances: je n’ai pu remonter aux temps anciens pour y trouver un modèle, et je vous demande un peu d’indulgence aux temps présents. Sylvain Tesson a écrit: « Faut-il avoir le coeur sec et l’âme fatiguée pour espérer des paradis hypothétiques, alors que le champ d’émerveillement se déploie là, somptueusement vivant, devant nous ». Je m’en accommode. Mais il me semble néanmoins que, parce que le promeneur a une âme candide, la porte du Paradis reste entr’ouverte.
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