Carrossé comme une berline.

Hôtel Pullman Paris Montparnasse (ex-Sheraton), 19 rue du Commandant-René-Mouchotte (Paris 14e).

Livré en 1974 par Pierre Dufau.

Certes, il est inconvenant de se citer mais, pour mieux se géolocaliser, cela nous sera utile. À l’entame du 3ème paragraphe de l’article précédent, il était écrit : « Et nous y voilà, place de Catalogne, au pied des… ». Alors, faisons un demi-tour sur nous-mêmes, voilà ; et que voyons-nous fendre le ciel ? La tour Montparnasse, oui ok, un peu sur la gauche, pareille à une « tablette de chocolat » comme le formulait Pierre Dufau, qui avait l’esprit de répartie. Ah ! l’esprit, certainement ce qui – selon nous – caractérise le mieux cet immense personnage de l’architecture et l’urbanisme français ! Nous y reviendrons. Donc, revenant à notre position de départ et après avoir fait volte-face, nous voyons, là sensiblement sur la droite, large d’épaule dans son costume blanc à rayures… Bon sang, quel standing ! et pour cause, il s’agit d’un hôtel entre autres choses.

« Le seul article utile serait d’expliquer pourquoi tel bâtiment est comme ça. », notait Pierre Dufau (1908-1985) dans Un architecte qui voulait être architecte (éd. Londreys, 1989), l’un de ses deux ouvrages majeurs, l’autre étant Non à l’uburbanisme (éd. Flammarion, 1964). Et c’est bien ce que LFAC, modestement, essaie de vous proposer – dans ses chroniques – du point de vue du domaine public. Mais avant de nous pencher sur l’ex-hôtel Sheraton, contrevenant quelque peu à la prescription de notre architecte aujourd’hui en une, introduisons-le derechef. Figurez-vous que, de son vivant, il fut taxé, par certains, d’affairiste (certes, il avait la plus grosse agence, et alors ?) voire même, par d’autres, d’architecte « des banques » (voyons, entre nous !). Nul de sensé, encore aujourd’hui, ne pourrait tenir de tels propos à son endroit, d’autant qu’il s’est fendu de deux bouquins où il dit tout, et de quelle manière. Non, c’était avant tout l’architecture et l’urbanisme frappés au coin du bon sens. C’est pourquoi, jeune architecte diplômé et premier Second Prix de Rome, il remporta le concours de la reconstruction d’Amiens (1944-1954) où il vécut  adolescent. Plus tard, il fut – par exemple – nommé architecte en chef du Nouveau Créteil (1969-1977) avec notamment son fonctionnel Hôtel de Ville figurant les rouages de l’administration. Aussi, il réalisa entre autres le Palais des Sports de la Porte de Versailles (1960, 15e) exemplaire d’efficacité structurelle – s’appuyant sur l’invention de Buckminster Fuller – pour obtenir un maximum de volume libre, l’hôtel Hilton aujourd’hui Pullman Paris Tour Eiffel (1965, 15e) concrétisant le premier grand hôtel à Paris depuis 30 ans, et – hormis l’îlot Vandamme Nord (1972-1976) où nous nous trouvons aujourd’hui – le siège social de la SNECMA aujourd’hui SAFRAN (1976, 15e) bardé d’alliages légers aux formes empruntées à l’aéronautique. Ça vous cale un CV !

« La grande architecture exige deux conditions : un bon client et un bon site. », stipulait Dufau dans le même ouvrage. Il fut servi ! Remportant le concours du secteur Vandamme, c’est-à-dire la recomposition des abords sud-est de la gare Montparnasse, il s’occupa personnellement de l’îlot nord. Là, alors que le chantier voisin de la tour Montparnasse débutait, sur presque 3 ha délimités par l’avenue du Maine, la rue Vercingétorix et la rue du Commandant-René-Mouchotte, il fallait mettre en musique un programme complexe : un hôtel de 1.000 chambres (sur 25 étages) pour la chaîne d’hôtels internationale américaine, un immeuble de bureaux (le Héron Building, 1975) et un immeuble de logements (les Balcons de Montparnasse, 1976). Parce que la radiale autoroutière Vercingétorix (finalement abandonnée) devait irriguer l’ensemble, la typologie choisie fut celle du socle/bloc dont la dalle sur laquelle il repose accueille une galerie marchande, une salle de conférences et des équipements sportifs sur 6 niveaux de parking en sous-sol. Et chez Dufau, pas de camouflage : l’hôtel ressemble à un hôtel et les immeubles de bureaux et de logements respectivement à des bureaux et des logements ; cela fait partie de ce qu’il appela « l’esprit d’architecture », où il est question d’authenticité.

« L’architecture, c’est une sorte de langage sans paroles. Ce sont les formes qui donnent les informations, […]. », écrivait-il (toujours dans le même ouvrage). Encore faut-il pouvoir les lire, voire les traduire ! L’architecture n’étant pas une théorie, il était un homme de terrain et donc de bon sens. Et donc moderne : c’est pour cela qu’il utilisait – tant que faire se peut – les nouveaux matériaux, tout en leur conservant une proportionnalité propre à l’usage. Parce que le budget et le temps étaient limités, il se devait de faire « une architecture bon marché qui ait un aspect de qualité ». Ainsi il proposa des façades en tôles d’acier, embouties et peintes à chaud en usine, les rendant de fait quasiment inaltérables ; choix précurseur qu’il développa pour l’adapter au siège de la SNECMA. Dézoomons un peu et que voyons-nous ? Un costume blanc à rayures, oui ok, nous l’avons dit. Large d’épaule là où nous étions, aussi, mais coupé slim lorsque vous le regardez de profil. Quel standing, quelle classe, quelle élégance pourrait-on qualifier ce bâtiment aux volumes blancs « cassés en avancées et en retraits pour dessiner un effet de silhouette » et à l’effet de verticalité renforcé par les joints et les « fenêtres groupées en fines bandes marron ininterrompues », contrairement à sa voisine estampillée en introduction par l’architecte. Voilà ce qu’est un langage sans paroles, et encore une fois l’esprit d’architecture. La perception d’un bâtiment étant certainement une valeur cardinale pour débuter la lecture d’une architecture. Une autre étant, toujours depuis le domaine public, de se déplacer et de lever les yeux.

En plein avènement du postmodernisme, son cœur s’arrêta. Il ne nous reste de lui que ses œuvres (certaines entachées de lourdes réhabilitations) et ses ouvrages (inaltérables d’analyse et d’esprit). Il n’est de si bonne compagnie – comme toujours avec Dufau – qui ne se quitte et, afin d’ajouter une dernière touche à l’esquisse de cet architecte, sachez que parmi ses quelques titres « honorifiques » de jeunesse cités plus haut, D.P.L.G. et Prix de Rome, il semble indiquer en creux avoir un faible pour un autre : avoir été élu à l’unanimité Grand Massier de l’École (gestionnaire des rapports entre étudiants et direction de l’école ou organisations extérieures) couronnant, à bien des égards, l’état d’esprit du bonhomme.

LFAC

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