QUARTIER DE L’HORLOGE
Îlot rues du Grenier-St-Lazare, Beaubourg, Rambuteau & St-Martin – Paris 3e.
Livré de 1978 à 1982 par Jean-Claude Bernard.
Avant d’attaquer le « brutal », c’est-à-dire l’architecture contemporaine qui pique sans doute parce que véritablement démonstrative ou franchement éloquente, je vous propose un petit ressourcement social au centre de Paris, histoire de se rappeler qu’il y a presque quarante ans l’habitant était encore au cœur des débats, tout comme le promeneur. Alors que Trust crachait dans nos radios un « Antisocial, tu perds ton sang-froid… », un lieu fait avec bonhomie, îlot de mixité sociale, voyait le jour lors de la réalisation du Quartier de l’Horloge (Paris 3e) grâce à l’architecte urbaniste Jean-Claude Bernard.
Le projet était le suivant: sur un îlot insalubre de 2 ha, réaliser plus de 700 logements avec une galerie marchande, des bâtiments publics, des parkings, etc., tout en conservant ici quelques bâtiments et là quelques façades, et le tout devant s’inscrire dans un environnement urbain traditionnel mais en mutation (le Centre Pompidou sortant de terre). Quel drôle de choix que celui de le confier à l’un des membres du GIAP (Groupe International d’Architecture Prospective) dont les études sur l’urbanisme des villes étaient avant-gardistes, à tel point que cela provoqua quasiment une descente d’organes aux vieux membres du jury de la villa Médicis lorsqu’il leur présenta, au début des années 1960, son « Essais pour un ville totale ». Mais l’homme avisé, alors architecte en chef des bâtiments publics et palais nationaux, avait en son âme une vision romantique de la ville, celle où il aime se balader.
Selon l’architecte urbaniste, la ville ancienne se refait sur elle-même. Notre premier regard se pose au loin sur le bout de façade de la rue Rambuteau, où il a retrouvé le rythme traditionnel du tissu urbain du centre parisien: de courtes travées (3 à 5 fenêtres), de légères variations de hauteur, de matériaux et de couleurs, en conservant l’alignement sur rue. Chaque façade a son caractère propre, comme dans un rythme égal aux battements du cœur du promeneur.

Nous entrons dans l’îlot. Il semble s’organiser comme un espace convivial, un village. Nous descendons alors une rue piétonne où nous découvrons, sur notre gauche, un grand bâtiment qui semble s’ouvrir pour laisser entrer la lumière; notre regard est alors attiré vers le ciel par un jeu de volumes en saillie (balcons, terrasses, bow-windows et même une échauguette) animant la façade. En face, un bâtiment de bureaux (en mezzanine sur un escalier flanqué de gradins en granit adossés à un mur de mosaïques colorées) à la façade plane pleine de fenêtres, posée sur un pilier répondant à son vis-à-vis par son calme et sa sobre tenue. Un dialogue est engagé.
Plus bas, sur notre droite, une façade aveugle (en contraste du mitoyen) est ornée de poutres débordantes comme pour faire escalader nos yeux vers un petit surplomb en attique, celui-ci répondant au petit pan coupé de la façade en face. Un colloque de façades s’instaure en bon voisinage, et à chacun ses arguments! Et plus loin, un bâtiment faisant un angle droit par un pan coupé nous offre, quant à lui, tout un ensemble de volumes décrochés les uns des autres où s’avancent des bow-windows de différentes largeurs et hauteurs, se terminant par des balcons parfois filant, voisinant avec des terrasses en cascade se mêlant à des petites toitures à un pan; bref, une société de volumes pleins et ajourés, pour des logements à vivre dedans et dehors. La conférence bat son plein.
Nous sommes désormais sur la place centrale, avec sa petite fontaine, au coeur du village. C’est social un village, car chacun y a un visage. Il ne manque que les bancs, pour papoter. Ah, la politique parisienne des bancs publics, presque tous portés disparus! Là, sur le côté et sous une immense baie libre, règne une horloge monumentale à automates dont le quartier tire son nom, « le défenseur du temps », œuvre de Jacques Monestier. Mais les sous manquent pour son entretien et le temps, pour elle, est suspendu. Pour d’autres, la vie continue. Partout, divers commerces de plain-pied, petits et grands, voisinent côte à côte dans un esprit plus urbain et social qu’architectural. La vie « au sol », ça compte aussi.
À la croisée des chemins, nous passons par cette grande ouverture qui nous mène à une autre placette où, une fois de plus, un grand immeuble animé de volumes en saillie s’ouvre en hémicycle comme caisse de résonance à son vis-à-vis plutôt sobre en reliefs. À un grand porche pour distribuer les logements renvoient des commerces de bouche dans une atmosphère paisible. Puis, nous rebroussons chemin et nous nous engouffrons sur la gauche dans un passage couvert bas et long (à l’opposé de la baie voisine, la variété est organisée) pour retrouver le jour en grimpant un emmarchement ou une rampe qui mènent à un nouvel et dernier espace presque clos. D’autres rampes, à contresens, alimentent ici des logements et là une crèche (dont la cour donne sur la place centrale, en terrasse d’un étage terminé par une coursive). Là encore, quelques volumes plus ou moins imposants sortent du plan bâti et égayent d’ombres et de lumière le cirque des façades.
Tous ces jeux libres de volumes, en épaisseur et en surplomb, ces terrasses et balcons diversement orientés, ces variétés de matériaux et de tonalités (même si l’ocre fut très largement ravalé en un beige « dévitalisé »), tout concourt à animer ce village dédié à ses habitants et aux promeneurs, et reconstitue une vie de quartier irrigué de ruelles, de placettes et de passages, dans le respect de conservation d’un style contemporain et familier, à échelle urbaine… et humaine. Oui, vraiment, je crois que l’architecture sociale a bon droit.
je me souviens d’être allé regarder l’horloge fonctionner, mais c’était il y a si longtemps