9 rue Fénelon. Paris 10e
Immeuble d’habitation et atelier 1861-1874
P.-J. Jollivet et consorts
« L’église, un clergé outragé, un artiste brisé, un procédé martyrisé, mais des plaques de lave émaillée libérées! Libérées, avec le concours de la Ville de Paris, etc. », ainsi aurait pu s’ouvrir, en juin 2011, le discours d’inauguration de la repose des tableaux bibliques, ceux commandés par Hittorff (l’architecte) à Jollivet (le peintre) en 1860 pour orner le porche de l’église Saint-Vincent-de-Paul (Place Franz-Liszt, Paris 10e).
Nous sommes en 1861, on pose les fresques. C’est alors qu’un prêtre dénonça à ses fidèles l’immodestie avec laquelle furent représentés les personnages sous le prétexte qu’ils étaient nus (Adam et Eve, entre autres, en tenue d’Eve) et demanda prestement leur enlèvement. Le préfet Haussmann s’exécuta. Cent-cinquante ans plus tard, la Ville de Paris les ayant restauré, elles regagnèrent leurs places de part et d’autre de l’entrée de la maison du Seigneur. Ainsi soit-il!
Aujourd’hui, admiratif devant ces scènes aux couleurs chatoyantes, je vous invite à vous rendre à deux pas d’ici, là juste sur la gauche, face à l’immeuble du 9 rue Fénelon où nous est contée l’histoire de ce procédé esthétique à nul autre pareil: la technique des émaux comme ornementation de façade.

En préambule, permettez-moi de vous dire ceci: l’église est la mère et l’immeuble sa fille unique, un voisinage qui n’a d’autre intérêt que sa filiation de façade.
Nous sommes en présence d’un immeuble – pardon, mais je n’ai pu trouver le nom de l’architecte – dont les premiers niveaux furent achevés vers 1861 et les derniers vers 1874. On nous apprend aussi qu’à rez-de-chaussée s’était ouvert l’atelier de François Gillet (1822-1889) qui fabriqua les plaques commandées pour l’église en tant qu’assistant de Pierre-Jules Jollivet (1794-1871) auteur des dessins sur cartons. Le même sang coule dans les veines émaillées des deux façades.
Ici, somme toute ordinaire, la façade présente néanmoins l’existence de deux étages nobles, précisément où se concentre l’essentiel de l’ornementation. Dans cet espace rythmé par des pilastres cannelés rappelant les colonnes du portique de l’église (rien n’est anodin), tout est rapporté comme le témoignage d’un savoir-faire, celui des artisans combinant les arts de la taille de la pierre avec les arts du feu: la pierre de lave émaillée, parfois appelée « pierre éternelle ».
Au premier regard, nous voyons en introduction le panneau ‘peinture céramique’: l’annonce faite, à nous simples mortels, de la naissance du procédé, non pas dans une étable à Nazareth mais dans un atelier rue Fénelon. Pour preuve, sont présents les trois mages illustrés dans les médaillons juste en-dessous. J’appelle: Bernard Palissy dit « le mythique » que nous plaçons au centre, Luca Della Robbia « le florentin » sur notre gauche, et Ferdinand Mortelèque « l’alchimiste » sur la droite. Enfin, et pour souligner le tout, nous est proposé un storyboard, en deux épisodes étirés dans leurs longueurs, tel un ruban polychrome sur lequel les artistes nous laisseraient en héritage leurs ancien et nouveau testaments. Chassés du portail de l’église, ils reviennent par la façade d’un immeuble lui faisant face. Les artistes, ces effrontés!
Après la lecture de ces deux tableaux historiques, me joignant à retourner voir l’entrée de l’église, se mêlent en moi deux sentiments distincts que sont la quiétude et la rancœur.
La rancœur, parce qu’hier on déposait et qu’aujourd’hui on repose. Qu’en sera-t-il demain? Est-ce que nos enfants pourront dire aux leurs: « Papa et Maman m’ont emmené voir ces plaques de lave émaillée alors que j’avais ton âge. Regarde comme elles sont d’une beauté radieuse »? Si tel est le cas, cela voudra dire que nous avons pu tordre le bras à ceux qui, au sombre dessein, voudraient à nouveau les mettre au rebut ou pire les jeter à terre et les broyer à l’état de gravats, comme il fût fait ici ou ailleurs avec une part de notre grand-œuvre: l’art comme messagère de notre humanité. Qu’en sera-t-il…
Mais aussi la quiétude, parce que je repars en paix, l’esprit riche d’une nouvelle histoire à raconter, celle du génie de nos anciens qui ont mis bout à bout leurs inventions, alimentées des savoirs venus des quatre coins du monde, pour construire l’idée de trouver un procédé esthétique et inaltérable comme solution à la peinture d’art extérieure. Ces artistes laissent ici une empreinte de nous-mêmes, une empreinte persistante de l’émotion qui se nourrit de notre créativité et de sa transmission: l’art comme une trace de notre existence passagère.
Au surplus, et une fois n’est pas coutume, ce court récit n’aurait de sens sans un mot de remerciement. Louons le travail et la responsabilité de celles et ceux – de tous temps – qui nous permettent aujourd’hui de pouvoir apprécier le travail d’artistes tel qu’il devait être à l’origine, malgré les évènements malheureux subis; la fortune sourit aux audacieux, dit-on. Ici, dans la vie labyrinthique des artistes sous l’influence d’une autorité supérieure, certains ont tiré un fil d’Ariane d’une façade à l’autre: le fil de la persévérance.
Vous devez être connecté pour poster un commentaire.