1 rue Danton. Paris 6e
Immeuble d’habitation – 1900
François Hennebique 1842-1921
Cet après-midi d’été, mon appareil photo en main, je me mêlais aux touristes de la place Saint-Michel et, avant de m’engager dans la rue Danton, je profitais encore un instant de la vue sur Notre-Dame, majestueuse, pareille à celle peinte par Maximilien Luce exposée au Musée d’Orsay. Mon objectif du jour était d’aller voir le premier immeuble parisien construit entièrement en béton armé, situé au 1 rue Danton (Paris 6e). Quittant l’archange Michel terrassant le Diable ornant la fontaine Saint-Michel, je plongeais dans une place plantée d’arbres et où se jette la rue Suger en un ultime coude, comme s’il y avait là un terminus, le bâtiment en question.
À première vue, il ressemblerait à une pièce montée d’un pâtissier, nappée de crème glacée à la vanille bourbon. Intrigué, je m’approche et passe mon doigt dessus pour le goûter. Déçu, je constate qu’il est chaud et que le nappage n’est autre que de l’enduit imitant une teinte pierre, recouvrant toute la construction. Habituellement, et afin de reconnaître un bâtiment public ou d’habitation, on se reposait sur la présence d’un appareillage de pierres ou de briques; là, rien de tout cela, pas de repères identifiables en cette période où l’Art Nouveau est en vogue, hormis une certaine souplesse dans la forme générale de la façade, un peu de ce que certains appelaient le « style nouille ».

D’un gabarit plutôt en longueur composé de six étages sur un rez-de-chaussée entresolé et couronné d’un attique avec une terrasse filante, cet immeuble est l’œuvre de l’ingénieur-architecte Edouard Arnaud construit en 1900 pour le compte de François Hennebique, ingénieur en béton armé de réputation internationale depuis le dépôt en 1892 de son brevet appelé « Système Hennebique » proposant un procédé constructif compétitif, affublé du slogan « plus d’incendies désastreux » (tel qu’indiqué dans la brochure qu’il diffuse pour sa publicité), et répondant positivement aux contraintes habituellement sollicitées que sont la traction, la compression et le cisaillement. À titre de comparaison, je prends l’exemple du judoka en catégorie poids lourd: il reste stable même lorsqu’on le tire, le pousse ou le fauche. Bref, du Teddy Riner avant l’heure!
Faut dire qu’en cette fin du XIXe siècle, la compétition est rude en matière de béton armé: les procédés de Monier, de Coignet et de Cottancin lui font concurrence. L’idée était de construire vite et de manière sûre, et le béton armé en cela est une véritable révolution technique, les ingénieurs étant leur inventeur. Sauf que le béton, pour beaucoup, devait être uniquement destiné aux bâtiments industriels (usines, hangars, etc.) et pas à l’architecture privée (l’habitation). L’architecture, c’est la pierre!

Exposée comme un phénomène de foire, la création organique par l’audace prométhéenne de l’ingénieur supplanterait la puissance créativité du demi-dieu que serait l’architecte, entre illusion et réalité, le béton remplacerait la pierre. Et ce bâtiment est un modèle du genre; pour preuve, il donne à voir sur toute sa façade l’éventail du répertoire d’éléments architecturaux visibles du domaine public. C’est une devanture commerciale au profit de l’ingénieur-bâtisseur, estampillé de son logo « système Hennebique » (œuvre du céramiste Alexandre Bigot). Profitant habillement d’une exposition au Nord ne lui faisant pas d’ombre, et s’appuyant sur une austérité tant en couleurs qu’en matériaux, il habille son bâtiment-témoin d’une monochromie permettant une lecture fort aisée où l’ordonnancement régulier orné de saillies à la mode est exprimé dans une expression directe, un réalisme où tout y est et tout est dit dans sa plus grande naïveté.
Que la façade soit jolie ou non, là n’est pas la question; Hennebique n’est pas Shakespeare, il fait sa publicité, il est dans le pratique et non pas dans la subtilité. Il n’y a pas matière à réfléchir face à un visage ordinairement expressif, sans fard excepté un léger fond de teint. Ce qui pourrait être troublant c’est uniquement cette pellicule de teinte claire, dite « pierre naturelle », pareille à celle caoutchouteuse dont les roboticiens revêtent leurs machines pour les faire ressembler à des humains, sans veines, sans rides, sans vie.
Mais ne nous y trompons pas, ici la façade n’est que le visage de la promise que le créateur conduira par le bras jusqu’à l’autel où l’attend son fiancé, investisseur impénitent dans le bâtiment c’est certain. Car c’est sa fille dont il s’agit, et elle s’appelle « Système Hennebique », c’est marqué dessus. Bénis soient-ils!
Vous devez être connecté pour poster un commentaire.