Le dichroïque, c’est fantastique!

Immeuble de logements, 1 rue Fulton (13e).

Livré en 2017 par Bernard Bühler.

Dans l’art, par idéal, il n’est pas question de morale. Mais dans l’art de bâtir, par principe, il convient d’avoir un tracé régulé – mesure de toute composition – et de révéler la vérité de la structure ou du matériau. Aujourd’hui, parce que la société – nous dit-on – doit se réinventer, on cède à la tentation d’animer la rue comme un théâtre urbain et on s’entiche de parures. Bernard Bühler, lui, est très tendance. Son langage architectural ne semble pas écrit mais parlé, accordé sur celui de la rue à la grammaire accommodante; il est fait de collages, de décalages et de lustre. Son architecture ne se lit pas, elle se reçoit. Et, n’en déplaise à certains, voici venu le temps de l’ostentation, qui parfois éclabousse son voisinage d’un étalage de surfaces chatoyantes; car c’est ainsi que bâtit le sieur Bühler… Attention, on en aura plein les mirettes!

Ces derniers temps, au fil des chroniques, je vous ai un peu baladé. Courant octobre, nous étions du côté de Bercy et, à la fin de l’automne, au bas de l’avenue de France, ZAC Masséna. Eh bien, revenons sur nos pas… ou presque. Nous voilà ZAC Paris Rive Gauche au pied de l’îlot Fulton, quai d’Austerlitz, avec vues sur la Seine, le Ministère des Finances (et ses deux pieds dans l’eau) et l’ex-POPB. Là, l’histoire récente d’un lieu marqua, un temps, les esprits. Un ensemble de 133 logements sociaux, construit en 1956 par Daniel Michelin, fut dernièrement occupé par des artistes venus de tous horizons, le transformant avec moult décorations en siège de résistance sociale. Emplacement à fort potentiel immobilier, jugé insalubre, il fut vidé de ses hôtes et une procédure de requalification de l’îlot fut engagée. En d’autres termes, on démolit et on reconstruit sous le prétexte de revaloriser le quartier. L’opération fut programmée en trois tranches de travaux, seule la première (87 logements sociaux) est aujourd’hui livrée…

Et on peut dire qu’elle en jette un max! En effet, alors qu’un certain flou règne sur l’arrière de l’îlot, l’immeuble construit en front de Seine – au premier plan – happe la vue du promeneur par un jeu de miroitements colorés tous azimuts. Il semble briller de mille feux, et de fait, nous enthousiasme. Mais je dis: attention à l’effet de fascination qui, parfois, consume la raison! Pareil à la fièvre où l’élévation de température est accompagnée d’une sensation de froid, sous son apparat ardent se dessine un corps d’un blanc glacial, presque clinique. Nul besoin de se précipiter chez le médecin, prenons un peu de recul pour examiner ce corps bâti, qui ne nous est pas inconnu; nous reviendrons tantôt sur les parures qui rehaussent son teint blême.

Vous l’avez reconnu? C’est le petit frère du Bâtiment Home (vu dans ‘Reservoir Facs, vol. 1.’)! Sur un socle qui assoit l’ensemble et assure une continuité commerciale en un rez-de-chaussée entresolé, deux émergences pleines de logements traversants séparés par une faille bornent la parcelle sur les rues adjacentes; bref, bien que moins volumineux, c’est le modèle type emprunté à la filière contemporaine d’urbanisation en site favorisé, selon les standards des décideurs. Ici encore, parce que copie conforme, de généreux balcons enrubannent les tours, offrant des nouvelles perspectives et vues sur un cœur d’îlot paysager. Le concept est entendu, et sera naturellement répandu. Allons bon! Faut dire, quand même, qu’il fonctionne, éludant le principe de barre que tous repoussent des quatre fers, et sachant que l’originalité a un coût (le risque d’être retoqué). Notons toutefois, pour le labelliser chantier propre, le parti pris de la préfabrication avec l’utilisation de prémurs en béton isolés, et matricés pour le socle, dont vous pouvez vous targuer d’être des spécialistes (si vous avez lu l’article ‘Faire figure, peu ou prou(e).’).

Désormais, concentrons-nous sur l’aspect des deux petites tours. Elles sont couvertes d’un bardage rapporté en verre émaillé extra-blanc, qui renvoie une luminosité – sauf pour les pignons en béton grège – d’un blanc éclatant comme un sourire ultra-bright (les plus anciens se souviendront d’une publicité pour l’hygiène dentaire). Sauf que cette blancheur pure, froide, stérile et devenue à la mode, aurait de quoi – me semble-t-il – nous inquiéter sur l’état d’esprit des acteurs de la construction, sachant que les bâtiments que nous habitons devraient nous ressembler… puisque la façade n’est autre que la peau que nous habitons. Sommes-nous tous blancs-purs? Mais j’en fais trop, sûrement, parce que déjà des flashs excitent ma rétine. Plein les mirettes, vous annonçais-je plus haut. Ce parement immaculé et lisse n’étant pas suffisant, certainement, il fallait un truc en plus. Mais quoi? Parbleu, des écailles rapportées et des garde-corps de balcons, tous en verre dichroïque; parce que le dichroïque… c’est fantastique! « Un peu que c’est fantastique », me dit une voix intérieure, « ça donne des reflets changeants, du jaune au bleu en passant par le vert, éclatants de lumière. » Tiens, ça me donne une idée: lors d’un prochain cocktail mondain, je me vêtirai d’un costume paré d’écailles dichroïques, pour épater la galerie! 

Blague à part, l’effet visuel de ces « illuminations » en plein jour a de quoi estomaquer le quidam (de Paname) habitué à l’enduit ton clair, à la pierre de taille haussmannienne, au béton brut ou peint, au verre clair et aux récents bardages en aluminium prélaqué; et Bernard Bühler est le spécialiste de ces effets. Cependant, n’omettant pas qu’il s’agit – ici à nouveau – d’un choix fort, je m’interroge sur la possible prolifération d’immeubles chargés, les uns plus que les autres, de bardages miroitants.

Quand bien même il mentionnait les grandes heures du passé, les chefs-d’œuvre et l’absolu, je me souviens d’un mot de Victor Hugo et l’astreins au temps présent, aux bâtiments et à la tendance; il disait à peu près ceci: « L’œil n’a qu’une quantité d’éblouissement possible. » Éblouissons-nous, puis méditons.

LFAC

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