Faire figure, peu ou prou(e).

Immeubles de logements, 66 à 72 rue Mstislav-Rostropovitch (17e).

Livrés en 2018 par FRESH Architectures et ITAR Architectures.

Au rythme tchouc tchouc du train des Batignolles…” chantait le groupe Téléphone, preuve s’il en est qu’ici – sous les pavés – il y avait le rail. Nous sommes toujours dans la ZAC Clichy-Batignolles et nous crapahutons dans la rue Mstislav-Rostropovitch, voie principale d’une butte artificielle aménagée en plateforme au-dessus d’un garage à locomotives. À peine passé son point culminant, par une percée entre les blocs bâtis débouchant sur un escalier monumental qui rejoint le parc Martin-Luther-King en contrebas, on voit au loin, d’une butte l’autre, le Sacré-Cœur. “Monte là-dessus et tu verras Montmartre!”, mais tu verras aussi, et au premier plan, à la pointe du bâti comme une locomotive tirant des wagons d’immeubles, un ensemble de logements qui a belle allure.

Allure’, telle est l’appellation du projet de deux opérateurs voulant ériger (je cite) “un bâtiment emblématique à l’architecture ambitieuse”. Le ton était donné, faire figure; et aux architectes de le mettre en musique. Au programme: 121 logements (dont 65 en accession et 56 en loyers maîtrisés) ainsi que 3 espaces partagés, 2 commerces à rez-de-chaussée et des parkings en sous-sol. Le défi: conséquence des concertations en ateliers participatifs et du nouveau déplafonnement autorisant 50m de hauteur, jouer sur les gabarits afin de libérer des vues vers le parc aux immeubles en vis-à-vis. La difficulté: une parcelle triangulaire, c’est-à-dire la plus compliquée qui soit. Le duo lauréat proposa alors un ensemble aux volumétries et aux atmosphères particulières: une tour en R+15 comme figure de proue à la croisée des chemins, suivie d’un bâtiment en R+7 sur rue et, dans une continuité de vêture en briquettes, d’un bloc de maisons de ville en duplex orientées vers le parc. Chacun occupe un angle de la parcelle, se retourne et encadre un cœur d’îlot.

Dans un tissu urbain en cours d’écriture sociale, il convient de travailler tant sur la volumétrie que sur la matérialité des façades pour que chacun, avec la patine du temps, se les approprie. Résultat: un bâtiment iconique, aux airs de ‘Flatiron Building’ en plus aiguisé et nappé de sauce Paname – parements de teintes grège rappelant la pierre de taille et champagne très tendanceérigé au pied du grand parc, au bon souvenir de Manhattan pour celle (Ingrid Taillandier, ITAR) qui compléta son diplôme d’architecture d’un master à deux blocs de ‘Central Park’ et devint experte en tours. Mais aussi: une intégration, avec d’autres volumes plus modestes, plus familiers, couverts de briques aux teintes chaudes rappelant le patrimoine en HBM. Enfin, achevant de convaincre le jury, les architectes mirent le paquet sur la qualité technique et esthétique en choisissant la préfabrication en usine, qui favorise la filière sèche (donc peu de nuisances lors du chantier) et optimise la mise en œuvre à la finition impeccable.

Une fois n’est pas coutume, si vous permettez, un zeste de technique à propos de la tour. Hormis les ouvrages en aluminium prélaqué rapportés en façade (pare-vues, pieds et lisses des garde-corps, cassettes en trumeau, tableaux et châssis des baies vitrées) et les porte-à-faux des balcons en béton teinté dans la masse, notons ici l’emploi de prémurs porteurs en béton matricé isolés. Hein? Quoi? Qu’est-ce que c’est? Pas de panique, ça se décrit comme suit. Préfabriqués en usine, des panneaux composés d’une paroi extérieure en béton, d’un isolant, d’un vide garni de raidisseurs et de connecteurs en acier puis d’une paroi intérieure en béton, sont disposés sur chantier façon puzzle. Dans le vide, on coule un voile béton, assurant rigidité et liaison entre les panneaux. Et voilà! Cette solution technique permet un gain de temps de mise en œuvre mais assure aussi l’inertie thermique à l’ouvrage, l’isolant passant devant les nez de dalles. L’exploit, nous dit-on, réside dans le maintien des 50m à atteindre. Et quant à la matrice, moule décoratif appliqué en usine sur le béton encore demi-frais, elle donne une esthétique en finition des parois extérieures, ici par une texture de fines rainures verticales. Voyez, ce n’était pas si sorcier, encore fallait-il le réaliser.

Avant de revenir à la tour, arrêtons-nous un court instant sur l’esthétique générale des bâtiments couverts de briquettes. Un jeu de pleins et de vides dessine de généreuses loggias aux cadres dorés, comme des tableaux, où chacun peut venir dialoguer avec la rue ou le parc avec plus ou moins d’intimé. D’ailleurs, c’est en ces lieux que furent situés les espaces partagés que sont une chambre d’hôte, une cuisine avec terrasse nommé ‘kitchen club’ pour happenings et des services comme une buanderie. Bravo! Mais j’en reviens à la tour. À ses façades à la fois calmes et animées qui se lisent d’abord, me semble-t-il, en continu dans une escalade de niveaux assemblés les uns aux autres suivant une extravagante disposition en quinconce, puis en alternance, tantôt lisses et pleines et minérales au nord et au sud, tantôt pointues et aérées et métalliques orientées aux levers et couchers du soleil. Du reste, au fond de moi, ces dernières augurent des signes d’appropriation les plus divers.

L‘un cinéphile, m’imaginant à l’extrémité d’un balcon et criant “I am the king of the world!” pareil à L. DiCaprio; et l’autre plus littéraire, devisant ces appendices et déclamant “Que dis-je, c’est un cap?… C’est une péninsule!” comme un Cyrano. Souvent les façades d’immeubles suscitent en chacun de nous des souvenirs. Mais le plus cher me vint lorsque je regardais non pas son profil, comme un nez au milieu de la figure parce que figure de proue du laboratoire architectural de la ZAC, mais de face et les yeux grands ouverts. J’y ai vu la réminiscence de l’enfance, de ces temps où, pour animer la classe lors de fêtes, on confectionnait et déployait des guirlandes de papiers colorés, pliés et découpés.

LFAC
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