Immeuble de logements, boulevard Diderot & rue Chalon & rue Hector Malot (Paris 12e).
Livré en 1995 par Alain Cartignies et Marie-José Canonica.
Oui, « ils façonnent »… rien que ces deux mots (extraits d’un article du critique Joseph Abram dans la revue d’architectures) qui sonnent à mon oreille de façon heureuse, honnête et chaleureuse, comme le résumé – certes condensé – de l’humble travail de ce duo d’architectes discrets. Par là, j’entends le long et silencieux travail de la conception, commençant par l’étude du lieu où sera bâti l’édifice au regard du programme qui lui est attribué, puis celui de la recherche par le dessin de la forme la plus adaptée qui lui sera donné, et enfin le soin qui lui est affecté, bref toute cette attention dans la confection d’un objet pour que son utilisateur soit satisfait, et que la lumière et l’œil le caressent de la manière la plus exquise qui soit. Comme l’artisan, parce que l’architecte est aussi un artisan, se disant en son for intérieur observant le résultat : « ça y est, nous y sommes ! » Eh bien nous y voilà, nous aussi, regardant cet immeuble et ravis – par procuration – de son habile réalisation.
De retour sur l’îlot Chalon, pour vous situer (rapport au pénultième article), nous sommes de l’autre côté de l’hôtel bâti par Stanislas Fiszer place Henri-Frenay. Tiens, un bâtiment de Cartignies & Canonica, lauréats du concours, si proche – en tous sens – de ceux de Fiszer, le coordonnateur ! Logique. Étudiants, ils écoutèrent l’enseignement du maître à l’École d’architecture de Nancy et, diplômés, travaillèrent dans son agence. Alain Cartignies (1951) et Marie-José Canonica (1950) créèrent alors leur agence, à un jet de pierre, à Bruyères, et là comme souvent ils s’affairaient d’abord localement, au rayonnement régional, se façonnant une jolie petite réputation. En témoignent leurs nombreuses réalisations, notamment dans le scolaire, le culturel ou les loisirs. Aussi, fidèles, ils retournèrent à l’école, mais comme vacataires, et travaillèrent à nouveau avec Fiszer, tel qu’ici à Paris, dans un exercice différent et certainement plus complexe – le contexte parisien – que celui qu’ils connurent sur leur terre natale. La première question qui se pose ici est : comment ce duo d’architectes résidant au pied du massif vosgien « greffa » un immeuble d’habitation contemporain dans la ligne beige et massive de l’existant haussmannien ?
« Paris n’est pas la province ! » leur avait-on certainement dit, avec ostentation, histoire de leur mettre un peu la pression. Nos deux architectes étudièrent finement – comme d’habitude – la conjoncture culturelle du lieu : la mitoyenneté omniprésente de la grammaire haussmannienne et la béance dans l’alignement du boulevard Diderot provoquée par l’esplanade de la gare de Lyon. Ils bâtirent un bâtiment en R+5+C sur le modèle tripartite, selon les prescriptions du cahier des charges et les préceptes du professeur, en assimilant cette linguistique de l’existant où le corps massif d’étages nobles rythmé de fenêtres hautes est inséré entre un dernier étage comme glissant dans un couronnement généralement bombé et un rez-de-chaussée entresolé dont le premier étage aux fenêtres basses amorce les suivants. Résultat : une intégration à la mitoyenneté des plus fines, le contemporain s’ajustant à l’ancien sans rupture d’échelle ni de rythme, souligné de bandeaux filants métalliques. Mais avant de cheminer plus loin, rue Chalon, arrêtons-nous un instant sur l’intersection du boulevard et de l’esplanade où réside le typique morceau de bravoure haussmannien : l’angle. Nos « provinciaux » lurent savamment cette articulation urbaine comme une composante charnière donnant accès aux différentes voies, l’illustrant par une variation (un pan vertical en béton) créant un signal dans la lecture glissante des façades et une facilitation du passage d’une voie à l’autre (le pan est coupé, et même ourlé sur les bords). D’autres y voient le dessin d’une porte, avec oculus, sur ses gonds aux paumelles vitrées ou métalliques, et rabattue… certainement pour nous mener vers l’étape suivante, et promise : la rue Chalon.





Ainsi nous arpentons la rue Chalon, au rythme des potences métalliques (où la descente EP rencontre un linteau magnifiquement ouvragé) amorçant les travées de fenêtres en damier (quatre, trois plus une, donnant un effet de perspective) terminées d’un couronnement travaillé en strates, et ici à nouveau les potences (soulignant des fenêtres en bandeaux) suivies d’une couverture (en deux étapes) à chêneau filant intermédiaire (dans une gorge profonde) s’additionnant aux bandeaux de répartition tripartite dans une lecture horizontale, et toujours perspective. Mais ce long et fastidieux descriptif est presque anecdotique dès lors que votre regard s’arrêtera sur les fenêtres et le parement en façade où, j’en suis sûr, vous vous pâmerez d’admiration. Regardez ces fenêtres, façonnées dans de divines proportions, dans une chaleureuse menuiserie en bois au ton rouge, comme des demis bow-windows rentrés (orientés vers l’angle du bâtiment) offrant une seconde vue de biais (par son étroite section) et dégageant une embrasure sculptée (suivant la griffe Fiszer) où la lumière, escortée d’ombre, vient se nicher. Et regardez ces panneaux de pierre agrafés en parement, pareils aux fenêtres ils sont façonnés dans un rapport de proportion équivalent, et là aussi travaillés en partie en biseau : une légère taille en partie haute capte la lumière et fait naître une subtile vibration – surtout lorsque le soleil donne – et dont la répétition offre à la façade quelque chose de saisissant. Ô ces subtiles animations dans des plans lisses, où comment donner vie à ses façades par petites touches : le diable, comme chacun le sait, se niche dans les détails !
Donc oui, et je persiste, ils façonnent… initiant intelligemment le dessin primordial de la forme générale, choisissant avec science les matériaux qui l’habillera, les ciselant délicatement et les assemblant avec soin. Ce travail de confection possède un pouvoir impalpable, celui de nous éduquer – et de nous accoutumer avec le temps – à ce que pourrait être l’immeuble d’habitation contemporain dans un environnement ancien et ô combien délicat qu’est l’haussmannien, c’est-à-dire sans heurts, sans extravagance, avec adresse et finesse comme le ferait un artisan depuis son local un peu reculé, discret, sans enseigne tapageuse, celui dont on se refile l’adresse en catimini. Cartignies & Canonica, sis à Bruyères, dans les Vosges.
LFAC
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