Immeuble de logements “Castel Béranger”, 14 rue Jean-de-La-Fontaine (Paris 16e).
Livré en 1898 par Hector Guimard.
L’un : « Guimard, Guimard… Attends une minute, ça m’dit quelque chose ! Ah oui, ça s’rait pas un coureur cycliste ? » L’autre : « T’as raison, allez roule ! Oh, j’te parle pas du type en maillot et socquettes, jambes épilées et qui s’met en danseuse dès que ça bouge ! Non, Hector Guimard, l’architecte-décorateur, nœud pap et redingote, barbe « belle époque », le front haut et l’œil vif… le style, quoi ! » Oui, parlons un peu du style.
Hector Guimard (1867-1942) : auteur du style qui porte son nom, le style Guimard. Euh… c’est trop concis ? Bon, alors développons ! En ce 19ème siècle finissant, l’émergence artistique du symbolisme et du fantastique rencontra l’essor industriel. À la croisée des chemins, l’inventivité de certains – citons, par exemple, Antoni Gaudí ou Charles Rennie Mackintosh – annonçait une mouvance internationale où l’architecture se faisait (aussi) décorative. Dès l’âge de 15 ans, nous dit-on, le jeune lyonnais quitta le cocon familial pour monter à Paris et s’inscrire à l’École des Arts Décoratifs où un certain Genuys, professeur et disciple de Viollet-le-Duc, l’aurait initié à l’asymétrie, la polychromie, voire même au goût du pittoresque. Diplômé, il poursuivit son éducation artistique à l’École nationale des Beaux-Arts où il apprit le rationalisme. Sorti sans gloire, ni diplôme ni Prix de Rome, il retrouva alors ses premières amours comme professeur à son école formatrice et, bien introduit dans le milieu bourgeois récemment installé dans le quartier d’Auteuil (le 16ème arrondissement rejoignit la ville de Paris en 1860), il s’attela à ses premières commandes : des maisons un peu dans le style cottage, qu’il emprunta suite à un voyage en Angleterre, dotées de façades aux volumes articulés, selon les théories de Viollet-le-Duc. Un jour de 1895 alors que le Castel Béranger en était aux fondations, il partit à Bruxelles pour rencontrer Victor Horta qui lui fit visiter son Hôtel Tassel. D’après les historiens, ce fut un tel choc qu’il entreprit, dès son retour, la révision des dessins des façades. Bien lui en a prit puisque son travail fut primé au 1er concours de façades de la ville de Paris. Il se fit alors un nom et, dès l’année suivante, une réputation… grâce à un certain Bénard (alors président de la CMP) qui lui commanda la réalisation des entourages d’accès du Métropolitain, révélant ainsi un style, aujourd’hui populaire.
Le Castel Béranger, de manière factuelle, est un immeuble de rapport en R+6 de 36 logements (plus 4 ateliers au dernier étage, 1 boutique et l’agence de l’architecte à rez-de-chaussée) réalisé pour le compte de Madame veuve Fournier où deux corps de bâtiments rectangulaires, reliés par un escalier en fond de cour, s’ouvrent sur une voie privée (le Hameau Béranger) perpendiculaire à la rue Jean-de-La-Fontaine. Bien, mais au risque d’être un peu trivial, l’honnêteté m’oblige à vous dire qu’on s’en tamponne du programme… car ici l’architecture est support d’effets décoratifs et s’estompe, pour le moins, derrière une profusion d’ornements. Adolf Loos a dû avoir une descente d’organes à la vue d’une telle démonstration « criminelle », pour reprendre son expression ! Et quel crime puisque le Castel Béranger est décoré dans sa totalité : Guimard y stylisa aussi le second-œuvre, la décoration intérieure et même le mobilier. Tout est compilé pour introduire ce que l’auteur nommera « l’art dans l’habitation moderne », du nom de l’ouvrage qu’il édita. Mais détrompez-vous, bien qu’estampillé pièce maîtresse de l’Art Nouveau à Paris, d’un point de vue architectural le Castel Béranger ne répond pas aux critères du style Art Nouveau dont l’expression essentielle traduisait un refus des lignes droites ! Or, ici, nous observons une subtile mais raide articulation de volumes simples destinée à mettre en valeur ses jeux de matériaux (appareillages en pierres meulières, en briques grise ou rouge ou vernissées, rehaussés de pierre de taille) se découpant entre ombre et lumière. Passé cette œuvre d’une radicale originalité, Guimard ne tirera plus – sauf exceptions – de lignes droites et toutes ses façades s’adouciront de souples courbures (voir, par exemple, l’immeuble rue Agar, 16ème).





Là, de constant chez Guimard et ayant trait à l’Art Nouveau, on notera toutefois son travail au dessin des ferronneries, des fontes et des pierres de taille : ceux abstraits du portail d’entrée (suivi d’un vestibule – l’antre – orné de panneaux en terre cuite) flanqué de deux piliers en pierre aux figures faunesques et de la clôture (à la manière d’Horta) sur la voie privée, les garde-corps, mais aussi les frontons, arcs et autres consoles en pierre, bref moult reliefs en surcharge de la polychromie des briques. Mais par-delà l’étiquette Art Nouveau, le Castel Béranger fixa des règles, celles éphémères d’une novlangue que l’on nommera – justement – comme appartenant au style Guimard, où ce qui est montré renvoie à une tout autre signification, trompeuse, bref un « novart ». Parce que l’art nous fait connaître ce qui nous est étranger, un autre univers. Ces « guimardises », qui appartiennent plus aux cabinets de curiosités qu’à l’histoire de l’architecture, foisonnent sur les façades : ici et là, des frises « faune et flore » ornant les chéneaux et les linteaux, des masques fantasques fixés aux serrureries des balcons, et des plus qu’apparentes ancres de tirants en forme d’hippocampe ou de discrètes prises d’air pareilles à des chauves-souris tapies dans les murs. Bon sang de bonsoir, quel imaginaire, et quel style décoratif ô combien captivant ! Certes, cette œuvre n’est pas révolutionnaire – restons mesurés ! – mais, reconnaissons-le, au-delà d’une surdose d’éclectisme ou de fantaisie, Guimard a vaincu la routine et fit du Castel Béranger, immeuble pour le moins extraordinaire, un véritable « bâtiment signature ».
On usera du style décoratif Art Nouveau qui, au fil du temps, s’élimera pour réapparaître sous la plastique – allez comprendre ! – du style Art Déco, plus dans une continuité de la Sécession viennoise. Guimard, lui, s’inscrira dans une expression plus sage, moins grandiloquente, bref plus urbaine comme s’acclimatant au siècle nouveau. Le style Guimard : façades insolites et animées, parfois allégoriques, dessinées par un homme raffiné, toujours dans une toilette élégante. Hector Guimard, un illusionniste.
LFAC
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