Résidence “les Eiders”, 145 avenue de Flandre (Paris 19e).
Livrée en 1981 par Mario Heymann.
Oscillant entre ordre et désordre, incessamment le fléau d’une vie passionnée balance. L’architecte le retint et choisit la bascule. Comme un défi aux usages, ou à la gravité ? Précaire équilibre. Or, la tendance rationaliste aurait dû l’amener à rechercher de la forme la plus pure, et l’emploi d’éléments en béton préfabriqués à la répétition industrielle quand bien même y reconnaître son appartement nécessiterait, fastidieusement, de compter d’abord les étages puis les travées. L’impasse. Alors, posant sa pâte sur la selle, il la travailla en creux et saillies, la fit tourner et la présenta à la lumière afin d’observer l’expression du visage modelé. Oh ! pardon, je pensais au sculpteur qui… Reprenons. Donc, il (l’architecte) travailla sa façade, en creusements et avancées, initiant ainsi un mouvement, une dynamique, et l’exposa au jour qui lui dessina des ombres. Il (l’architecte) lui donna un souffle, la vie. Sa façade avait une expression, une gueule urbaine, inégale et agitée. On pourrait même dire qu’elle est pop. Sympa pour des logements, non ? Ah, super Mario !
On ne sait que peu de chose de Mario Heymann. De sûr, on apprendra qu’il naquit à Berlin, en 1930, et qu’il rejoignit, trente ans plus tard, l’agence de Roger Anger (déjà épaulé par Pierre Puccinelli). Dès 1965, il deviendra architecte-associé alors que le boss se concentrait davantage sur son projet de ville expérimentale à Auroville (Inde). Au fil du temps, nous dit-on, sa patte se fit plus imposante au sein du trio. En témoignerait, durant ces années 1960-1970, l’évolution de leurs projets (principalement des immeubles de logements à Paris) dans l’expression des façades. Pour illustrer mon propos, je ne citerai – au débotté – que ceux situés au 11-21 rue Érard (12e) annonçant les avancées et l’empilement puis, plus tardifs, au 28-44 rue Clisson (13e) résultant plutôt d’un tissage. Ah ! heureux qui, comme le promeneur parisien attentif, a fait la connaissance de leurs façades, et puis est retourné à ses pensées désormais pleines de ces plans verticaux animés de dessins abstraits ! Constatant un contexte urbain traditionnellement figé, comme prostré dans un hiver créatif – froid et rigoureux -, ces architectes affichèrent leur modernité par un travail géométrique et dynamique (voir article « Danse avec la façade. ») dans l’épaisseur de la façade, lui donnant une troisième dimension. Selon eux, la façade – lieu même du dedans et du dehors, c’est-à-dire celui du logement et de l’espace public – est trop importante pour ne la réduire qu’à une fine peau. Ainsi, par un jeu de volumes, par un travail sculptural, ils engagèrent un épanouissement, et la façade alors bourgeonna – animée – de vie. Ici, désormais sans ses comparses, Mario Heymann continua dans la même veine.
À quelques encablures au nord des Orgues (voir article « Messe pour un ensemble contemporain. ») de van Treeck, nous voici donc de retour avenue de Flandre. Là, flanqué à l’ouest de la cité Curial-Cambrai – vous savez, ces tours aux façades en clefs grecques comme des circuits à billes -, un vaste îlot (au pourtour semé d’immeubles existants) devant accueillir un programme de presque 1.000 logements. Nous sommes à la fin des années 1970, à l’orée du postmodernisme, mais Heymann n’en a que faire, il trace sa route. Et pour aérer le bâti, il ouvre son îlot en y traçant une rue intérieure. Splendide allée des Eiders qui, passé une place commerçante puis descendu un grand escalier à couvert superbement rendu, se déroule en un paisible et agréable cheminement pavé de pierres rondes et balisé de loupiotes encastrées dans des murets et bordures en briques flammées qui bornent, selon un tracé sinueux, des espaces paysagers de massifs – d’arbres ou arbrisseaux – et de platebandes – garnies de fleurs ornementales – ou places avec sculptures. On aimerait s’y perdre, même si chaque hall d’entrée (de A à Q) est précédé d’une borne lumineuse et couvert d’un auvent renversant. Et tout autour, en R+13 (et 2 niveaux de parkings en sous-sol), proliférante sur une trame hexagonale pour rejoindre la périphérie (l’avenue de Flandre et les rues de l’Ourcq, de Cambrai et Alphonse Karr), une distribution rayonnante de bâtiments nous enveloppant de son étoffe architecturée aux motifs arrondis et teintes chaudes (malheureusement pas toutes d’origine). Au cœur des Eiders, on est dans un cocon.






À l’extérieur, on y retrouve la même impression, quoique gâtée ici et là de commerces à rez-de-chaussée aux devantures disgracieuses. L’architecture est toujours faite de fractionnements, d’imbrications et d’empilements de volumes, certains en décalages, en rupture. Mario s’est éclaté ! La société était déjà en pleine mutation, il donna une forme nouvelle à son bâtiment, une identité. Il préféra le mouvement au calme, l’émotion à la raison. Il rejeta la tyrannie des Beaux-Arts, et anticipa le futur. Il privilégia la partie au tout, et chacun reconnaîtra son appartement dans le regroupement de logements. Ici, des verticales juxtaposées, plissées et crevées de balcons comme des tuyaux d’orgues, et là des imbrications d’avancées verticales ou horizontales, creusées de loggias (simples ou doubles) aux bords arrondis. Ici et là, et surtout coiffant le tout, un méli-mélo de volumes simples (parallélépipèdes à sections carrées ou rectangulaires) chacun debout ou couché, projetant des loggias percées d’hublots voire même – osons le terme – d’hublots oblongs, orientés vers le levant ou le couchant. Désordre équilibré ? Variations accordées ! Heymann joue avec nos sens, avec notre raison, par ce jeu de boîtes à coucous que certains appelèrent des « bidules ». Mouflet, accroupi sur la moquette de ma chambre, moi aussi je piochais dans une boîte des cubes que j’empilais, imbriquais, construisant un… Ah, ces façades « récréatives » réveillent en moi des souvenirs d’enfance ! Sauf qu’ici, le travail de l’architecte ne résulte pas de l’arbitraire d’un jeu d’éveil mais bien d’une composition savante sur la volumétrie des façades de logements, moderne et urbaine, avec une esthétique que certains taxeront de datée. Et alors ?
À l’heure où le postmodernisme prit le pas (bonjour tristesse !) sur le brutalisme, Heymann anima, par ses façades épaisses et vivaces, l’habitat et l’urbain. Super Mario !
LFAC
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