Visages d’églises: panneau 3

Dans le cadre d’un triptyque sur des églises bâties au 20e siècle à Paris.

Église Notre-Dame-de-l’Arche-d’Alliance, 81 rue d’Alleray (Paris 15e).

Livrée en 1998 par Architecture Studio.

Par son positionnement, le dernier panneau d’un triptyque est certainement le plus sensible de tous. Il est sensé non seulement apporter une confirmation – avec le concours des précédents – dans l’unité du sujet proposé, mais il doit aussi le conclure. Sachez que pour moi, une fermeture n’est pas une véritable fin, c’est un mouvement en deux temps et dynamique: le premier clôt provisoirement la question (et j’espère soulèvera des interrogations) alors que le second mènera l’observateur à la recherche d’un nouvel intérêt. 

Pour ce dernier panneau, c’est rive gauche que je vous emmène, au sud-ouest de Paris, dans le quartier Saint-Lambert. Une fois de plus, nous ferons face à un édifice labellisé « Patrimoine du XXe siècle » de Paris. Je ne sais si votre opinion est désormais faite sur les labels en tous genres qui nous sont soumis, que l’on soit au supermarché ou ailleurs, mais celui-ci semble marquer le bâti au fer rouge. À l’adresse du jardin d’Alleray-Procession, coincé entre les rues éponymes et un urbanisme hétéroclite, s’élève une église construite par Architecture Studio dans un style pour le moins singulier, Notre-Dame-de-l’Arche-d’Alliance, visage d’une architecture de notre temps.

Façade (Architecture Studio)

Alors que naissait le bruit médiatique autour d’un hypothétique « bug de l’an 2000 », le Cardinal Lustiger (Archevêque de Paris) consacrait au 81 rue d’Alleray (Paris 15e), dans un calme cérémonial, un nouvel édifice cultuel ressemblant de près ou de loin à un gros cube marron enveloppé d’une fine structure métallique. La modernisation de l’architecture sacrée se donnait enfin une visibilité, comme un manifeste de son intégration sociale, à l’instar d’autres bâtiments modernes faits d’une double peau (ici une résille en contrepoint de panneaux pleins) qui se multiplient dans notre environnement urbain. Faut dire qu’Architecture Studio, qui s’était distinguée pour sa collaboration à l’Institut du Monde Arabe à Paris, fut contrainte ici par certaines exigences: bâtir une construction principalement hors-sol (pour libérer l’espace public du jardin traversant) et opter pour un volume compact (répondant à la faible emprise allouée). Ainsi, le parti pris fut celui d’un cube posé sur des piliers (et un socle réduit). Restait à y accoler une symbolique religieuse: il en sera pour le coffre, rapport à l’Arche d’Alliance qui fut confectionné de bois et recouvert d’or pour y conserver les Tables de la Loi.

Vous le savez maintenant plus que jamais, une église paroissiale s’organise toujours autour d’une nef, d’un chœur et d’un autel. Là, nous sommes en présence d’un édifice à la fois de type salle (comme à Saint-Éloi) et d’un plan en croix (comme à Saint-Jean). Sauf que nous avons cette fois-ci un plan carré, et la croix n’est plus latine mais grecque, c’est-à-dire à proportions égales. Cela devrait rappeler, nous dit-on, les églises byzantines primitives, aux sources chrétiennes de l’Antiquité. Soit, puisque le concile Vatican II le valide!

Vu d’ici, l’ensemble se compose d’éléments simples: un bâtiment principal (surélevé), deux volées d’escaliers (traversants), un pylône d’ascenseur (alimentant l’étage en toiture) et un clocher. Mais l’exercice se complique dès lors qu’on s’introduit dans le cube, celui-ci  concentrant presque tout le programme (nef, chœur et autel si l’on exclut les locaux annexes), une sorte de trois en un dans un volume parfait et restreint. Parfait, car un cube c’est comme un cosmos, où l’ordre s’oppose au chaos, c’est-à-dire où toutes les dimensions s’ordonnent dans un système égalitaire et fini. Et restreint, car il faut tout de même hiérarchiser dans le sacré! Passé un portail discret et massif, l’atmosphère intérieure est confinée, on s’en serait douté. Dans cette boîte, un mini transept croise une nef de poche. On est à l’étroit, contrairement aux deux nefs précédentes. Tout est proximité, dans un corps à corps avec le mobilier: là l’autel, ici l’ambon, et plus haut ces tribunes où les paroissiens semblent être montés sur nos épaules. Faute de place, une salle de méditation est installée sur le toit, comme une façade vers le ciel. Mais sortons respirer un nouvel air, puisque ce sont les façades qui nous intéressent.

Habituellement, le langage architectural fait sens lorsque ses formes véhiculent des idées; et dans le cultuel, la symbolique souvent renvoie aux textes et à l’iconographie. Ici, tout ou presque s’explique, en définitive. Le cube est porté et soutenu par douze piliers, en référence aux apôtres. Les teintes bois des panneaux et or de la sérigraphie rappellent, tous deux, le coffre (l’arche d’alliance). Enfin, la résille qui ceint le volume aurait pour fonction de le protéger. Ici, et vous l’aurez compris, tout est figuratif. Mais, qu’en est-il de cette double échelle de perception attendue: celle de l’Homme et celle de Dieu, donc par analogie celle de la chair et de l’esprit transcrits dans le bâti et le symbolique. Trop de symbolique… À Saint-Jean, à l’aube du 20e siècle, cette perception était claire, identifiable par son ornement et sa façade tripartite. À Saint-Éloi, aux temps des Trente Glorieuses, elle se révélait par son tout métallique et sa toiture élancée. Sur ces deux visages, j’y voyais l’Homme et Dieu. Ainsi bâtirent-ils! Là, et je le dis à regret, il faut se munir d’une plaquette informative pour lire le visage d’un nouveau monde, plus complexe certainement, même si ce bâtiment dégage un certain caractère dans son expression. Je suis donc dépourvu d’arguments pour interpréter la maille convexe autour du pylône d’ascenseur, l’arche liant ce-dernier au cube par une passerelle, et ce clocher cylindrique suspendu. Et pourtant, qui ne peut comprendre la beauté du message de ces murs couverts d’écriture, où nos doigts voudraient toucher les « Je vous salue Marie, etc. »!

Pour le promeneur, croyant ou non-croyant, les visages d’églises offrent aux premiers regards nombre de traits familiers. Néanmoins, certains d’entre eux relèvent encore du mystère, et c’est tant mieux ainsi. C’est sur cette perception un peu en clair-obscur que se referme le triptyque, où j’aurais essayé de vous les faire connaître davantage.

LFAC
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