Gironde tour ronde.

Tour résidentielle “Super-Italie”, 121 avenue d’Italie (13e).

Livrée en 1974 par Maurice Novarina.

Jadis, on construisait très occasionnellement des tours rondes. Elles étaient généralement érigées à usage soit de guet, pour voir venir un éventuel assaillant ; soit de clocher, pour alerter la population d’une attaque imminente ; soit de forteresse, pour se défendre contre l’assaut finalement mené. D’autres le furent au service d’observatoire, pour voir s’éloigner les étoiles. Eh bien ici, au tiers sud de l’avenue d’Italie (Paris 13e) et en temps de paix, disons qu’il s’agirait d’un cocktail constitué d’une dose du dernier – voir loin – et d’une dose du premier – voir venir -. En effet, Super-Italie, tour ronde résidentielle, immeuble de grande hauteur aux vues sur l’horizon urbain francilien, propose des appartements dont l’agencement intérieur en enfilade permet, dès la porte d’entrée ouverte, de voir venir à soi par l’ensemble vitré – comme au cinéma par l’écran large – le lointain. Pour résumer : le plein de lumière, c’est bien ; mais le vaste tableau urbain en guise de panorama, c’est super.

Maurice Novarina (1907-2002) débuta ingénieur et finira académicien. Architecte-urbaniste majeur du XXe siècle, lors de sa longue carrière et outre des rénovations urbaines accompagnées de logements de masse et autres bâtiments administratifs, il réalisa aussi – entre tradition et modernité – nombre d’églises (l’architecture sacrée s’étant émancipée dès les années 1920) ainsi que des résidences de standing dont deux se succéderont ici avenue d’Italie. Haut-savoyard, il tint durant toute sa carrière à parsemer les environs de sa terre natale d’œuvres remarquables : hormis ses églises inscrites au patrimoine ou labellisées citons, par exemple, la buvette Cachat à Evian-les-Bains (1958) ou l’hôtel de ville de Grenoble (1967) tous deux réalisés en association avec Jean Prouvé. Installé aussi à Paris à la fin des années 1950, on listera  dans la capitale quelques résidences de grand standing telles que celle du 31-33 avenue Foch (1970) ou Les Jardins de Chaillot au 2 avenue d’Iéna (1977) toutes deux à l’esthétique plutôt classieuse et situées dans le 16e arrondissement, sans oublier l’immeuble de bureaux au 2 rue de Clisson (13e, 1973) quand bien même ses façades furent réhabilitées et dénaturées.

Initiée au début des années 1960, et conjointement à d’autres secteurs comme celui situé non loin à l’est : les Olympiades, l’opération d’urbanisme appelée « Italie 13 » fut menée par Michel Holley suite à un diagnostic général dirigé par Raymond Lopez sur les îlots urbains parisiens. Et le constat fut sans appel : répertoriés ici et là, un grand nombre d’îlots étaient insalubres, c’est-à-dire aux conditions d’hygiène insatisfaisantes. Or, des objectifs avaient été définis au préalable : pourvoir un grand nombre de logements, libérer le sol pour le destiner à des espaces aménagés, offrir aux logements une meilleure luminosité et distinguer les cheminements piétons des circulations automobiles. Il fallait donc d’abord établir un plan d’urbanisme directeur puis, de toute évidence, construire en hauteur. Érigée en contrepoint de son Périscope (1969) qui était jusque-là la construction résidentielle phare du quartier, Super-Italie…

Intermède programmatique sous forme de fable anecdotique : au printemps 1974, alors que sa cadette était dans les tuyaux, la maîtrise d’œuvre « se trouva fort dépourvue quand la bise [le résultat des élections] fut venue » et l’Élysée, n’étant pas prêteuse, « lui tint à peu près ce langage : – Eh bien ! dansez maintenant. » si bien que l’aînée sera (fille) unique.

Super-Italie donc, érigée tel un point d’exclamation urbain ponctuant ses 38 étages (plus 4 en sous-sol) d’une coiffe « terre de sienne » jugée à 112 m. sous la toise, a vu néanmoins (les chantiers en cours des tours avoisinantes ne pouvant être stoppés) sa « supériorité aérienne » en quelque sorte contestée : au nord, sur l’avenue d’Italie, par les « modestes » 107 m. de la tour Antoine et Cléopâtre (de M. Holley, 1974) et au sud-ouest, au-delà du Jardin du Moulin de la Pointe et bordant le boulevard Kellermann, par les « humbles » 96 m. de la tour Chambord (de M. Holley et G. Brown-Sarda, 1975). S’en suivit 30 ans de rejet de la verticalité, laissant de facto à Super-Italie son rôle de tour signal et point de repère visuel urbain de l’avenue d’Italie. L’honneur est sauf !

D’autant que, au-delà de son appellation symbolique, Super-Italie se distingue aussi par ses caractéristiques esthétiques apparentes. Au premier abord, on voit – bien qu’il soit difficile d’appréhender la totalité d’une tour d’un seul regard – qu’elle est bâtie comme une colonne (base, fût et chapiteau). Et comme « l’étage naturel, pour le regard humain, c’est le niveau de l’horizon, en face duquel l’œil de l’homme a été placé … » écrivît H. Melville, commençons par porter le nôtre, naturellement, sur la base de la colonne – quand bien même il est provisoirement entravé par les travaux actuels de création d’une gare de métro -, son pied. Oui, son pied de colonne, ou plutôt dirais-je ses pieds qui, dégagés de la longue robe rayée la couvrant, fins et grenés, nous révèlent que la gironde « italienne » se tient sur des jambes minces et élancées. Son fût, tout en rondeur (presque rond, en fait, puisqu’il s’agit – techniquement parlant – de deux anses de panier aboutées), est habillé d’une robe aux rayures (les garde-corps) faites de petits carrés de mosaïque et de verres acryliques qui, grâce aux rayons du soleil lui tournant autour, l’enveloppent d’effets lumineux scintillants et irisés, comme il se doit pour la star du quartier. Enfin son chapiteau, que dis-je, sa coiffe, teintée d’ocre rouge et mouvementée et légèrement débordante, où se nichent une piscine (aussi réserve d’eau en cas d’incendie) et un solarium (une terrasse), ponctue sa simplicité monumentale comme le point sur un i, un i majuscule, bref un super i.

Prenant du recul, regardons ses deux œuvres « italiennes ». Là le Périscope, et ici Super-Italie ; une barre et une tour ; deux plans, rectangulaire et circulaire. Novarina était un moderne car, reprenant les mots de l’historien Bruno Zevi, sachez que “il n’y a pas une forme définitive de la modernité mais seulement la définition toujours renouvelée d’une modernité qui prend forme”. Qu’on se le dise.

LFAC

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