Bleu blanc.

Résidence « Confort bleu », 2-4 rue de Reims & 115 rue du Dessous-des-Berges (Paris 13e).

Livrée en 1971 par André Biro & Jean-Jacques Fernier.

« C’est une maison bleue / Accrochée à ma mémoire… » On y vient à pied par la rue du Dessous-des-Berges où l’on aura déjà croisé, au numéro 27, un bel exemple de leur créativité. Celui-là, en bas là-bas, est un immeuble de bureaux étroit justifiant un tout autre choix : plissées toute hauteur, trois travées étriquées pleines de baies vitrées se retournent en fenêtres d’angle. Mais après avoir remonté la rue jusqu’au commencement de la rue de Reims, cette fois-ci c’est un immeuble de logements qui accroche notre regard. Au cœur du 13ème arrondissement, dans un tissu urbain en mutation permanente depuis les années 1950 (quelle chance !) mais au reliquat, ici et là, de bâtiments aux nuances beigeasses comme des imperméables, tranche par ses tonalités radieuses comme un ciel de Provence ce que l’on appela la Résidence « Confort bleu ». Livrée cinq ans plus tôt, en 1971, elle est l’œuvre des épatants architectes André Biro et Jean-Jacques Fernier.

Oui, épatants furent André Biro (1926-2017) et Jean-Jacques Fernier (1931-2020) qui, élèves, se côtoyèrent dans l’atelier d’A. Perret puis de son successeur P. Herbé et, une fois diplômés, s’associèrent. Faut dire que, pour les situer, ils furent membres actifs du GIAP, le Groupe International d’Architecture Prospective fondé en 1965 par M. Ragon, Y. Friedman, P. Maymont, N. Schöffer, rejoints par des artistes tels que P. Székely ou V. Vasarely, le photographe L. Hervé, et j’en passe… bref, des visionnaires. Liés aux groupes japonais Métabolisme et anglais Archigram, ils imaginaient l’architecture du futur. À preuve, leur extraordinaire projet de « Ville en X » lauréat du Concours International d’Urbanisme et d’Architecture de 1969. Il va sans dire que, chez eux, il n’était nullement question de style ou pire de mode (futilité !) mais essentiellement de recherche, de recherches tous azimuts. En témoignent ces quelques réalisations parisiennes : l’impeccable assemblage de matériaux secs du petit immeuble expérimental au 8 cité Falguière (15ème) en 1964, l’étonnante façade en panneaux de fonte d’aluminium moulés et galbés de l’immeuble de bureaux du 40 rue René-Boulanger (10ème) en 1972 – reconverti aujourd’hui en hôtel, ou encore « l’interprétation surréaliste haussmannienne » de l’anticonformiste Hôtel des ventes Drouot au 9 rue Drouot (9ème) datant de 1980.

Définitivement, chez Biro et Fernier, il fallait être « absolument moderne » (vision rimbaldienne) et, pour tirer sur le fil de la pelote (la parenté avec le génie de Charleville-Mézières), permettez-moi cette analogie inspiratrice : eux aussi devaient avoir « l’œil bleu blanc » sinon comment expliquer ces teintes des panneaux ceignant le corps compact de leur œuvre si ce n’est pour figurer l’étreinte du poète. Certains me diront que je me fourvoie, d’autant que Fernier était un spécialiste reconnu de G. Courbet, lui aussi puissant et complexe comme le fut le poète auteur des Lettres du voyant. Et sauf erreur de ma part, la prospective est – par nature – le domaine de ceux qui voient loin, n’est-ce pas… donc des voyants. Certificat de parenté tamponné ! Mais, en ces temps-là, déjà, l’architecture française était contrainte par la tradition, et toute innovation apparaissait « comme suspecte » disait M. Ragon. C’est ainsi qu’au final on catalogua la prospective en utopie, tant pis. Chronique d’une mort annoncée.

Or, question modernité, le chemin était encore dégagé, et voyez plutôt ce que ce sensationnel immeuble recèle… et vous m’en direz des nouvelles ! Posons le programme : 71 logements, essentiellement des 2 pièces sinon des studios, et quelques locaux commerciaux à rez-de-chaussée, majoritairement orientés sur rues au nord-est et sud-est. Bien, rien de très folichon jusque là. Mais si je vous dis qu’il y a aussi une baraque sur le toit… ahah, c’est tout de suite plus sympa. Que tous les logements furent livrés clefs en main. Clefs en main ? Oui, parce que tout le mobilier était intégré, coloris compris… oh oh, c’est intéressant ça, un œuvre totale. Mais attention, c’est le moment d’accrocher sa ceinture parce qu’il va y avoir des turbulences ! Nous sommes donc à la fin des années 1960 et… tous les logements sont chauffés par le sol, où des câbles électriques sont noyés dans les dalles des planchers. Déjà, des planchers chauffants ! « Prière de ne pas décrocher sa ceinture avant l’arrêt complet de l’appareil »… et pour cause, ici point de ponts thermiques, because du polystyrène expansé fut posé au nu de la façade. Déjà, de l’isolation par l’extérieur ! Enfin, et non le moindre puisqu’il s’agit de la particularité la plus « voyante » de l’immeuble, la protection de l’étanchéité fut faite en panneaux de polyester (matériau imperméable à l’eau et résistant aux chocs thermiques et aux UV) ici clipsés et teintés. Alors, sont-y pas épatants nos Biro & Fernier ? J’ajouterai, si vous le permettez, à cette modernité plutôt technique, deux touches émotionnelles, affectives. La première concerne la massive utilisation en bardage et menuiserie extérieure de ce bois aux teintes brunes (vraisemblablement du doussié) qui, sous certains aspects, donne l’impression presque rassurante que l’immeuble fut taillé dans un large tronc d’arbre sur lequel on aimerait y promener sa main. Et la seconde porte sur le ceinturage de ces rubans comme empruntés au ciel dont, en vous en approchant, vous remarquerez que – malgré leur résistance aux UV et malgré leur âge – leurs peaux semblent peler par endroits sous les coups du soleil… pareilles aux nôtres. Cela nous ramène à une certaine forme de poésie qui, souvent, est de la sensibilité des voyants.

Morale de l’histoire. Il était une fois des « prospectifs » tant brimés par d’infatués conformistes (certainement aux derrières pleins d’escarres à force d’être avachis dans leurs fauteuils clubs devisant sur tout et vraisemblablement sur rien) les taxant d’utopistes qu’ils firent leurs la maxime d’O. Wilde « le progrès n’est que l’accomplissement des utopies ». Tant et si bien qu’ils finirent par actionner le levier du modernisme comme soupape à quelques uns de leurs desseins visionnaires définitivement prêts à l’emploi et le logement, ici par exemple, s’en porta bien mieux. « C’est une maison bleue… »

LFAC

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