Dans le cadre d’un triptyque sur des églises bâties au 20e siècle à Paris.
Église Saint-Éloi, 3 place Maurice-de-Fontenay (Paris 12e).
Livrée en 1967 par Marc Leboucher.
Au centre du triptyque, ce panneau est généralement le cadre de l’expression la plus vive et concentrée du sujet, vive comme le cœur d’un organisme vivant et concentrée comme le foyer d’un brasier. Sans prétention, j’espère qu’il en sera ainsi dans cet article. Au préalable, j’aimerais vous indiquer que cette église fait partie des édifices labellisés « Patrimoine du XXe siècle » de Paris. Je laisserai à chacun estimer la convenance d’étiqueter et de primer des bâtiments, alors que ceux-ci devraient pourtant essentiellement offrir la vertu (pédagogique) de fonctionnalité à l’égard de ses utilisateurs; et quant au reste, c’est du ressort de chacun.
Cette fois-ci, certes toujours rive droite, je vous emmène au sud-est de Paris, du côté de Montgallet. Là, à mi-chemin entre le jardin de Reuilly et l’École Boulle, tel un signal positionné à la pointe orientale de l’îlot Saint-Éloi, se dresse au 3 place Maurice-de-Fontenay (Paris 12e) l’église Saint-Éloi, œuvre de l’architecte-urbaniste Marc Leboucher et tout de métal vêtue.
C’est en cette fin d’octobre 1968, passé le temps de l’agitation sociale, que Mgr Marty consacra l’église que celui qui avait la charge de la rénovation de l’îlot – fervent croyant nous dit-on – venait de reconstruire quelques mois plus tôt en son nouvel emplacement, en retrait de la rue. Tout naturellement désigné par les Chantiers du Cardinal comme maître d’œuvre du projet, Leboucher l’a bâti en l’honneur de Saint-Éloi, patron des ouvriers du métal, et prît – de fait – le parti du tout métallique, ou presque. En effet, seuls un soubassement de briques rouges et des ensembles vitrés translucides échappent à la métallurgie ambiante. Très souvent, c’est l’orientation du site qui guide l’agencement du bâtiment, c’est aussi la fonction de ce-dernier qui caractérise l’édifice, et enfin c’est son mode de construction qui lui donne son style. Il en fut sans doute ainsi pour Leboucher, architecte-urbaniste, se devant de faire entrer le programme dans la parcelle et répondre au cahier des charges du commanditaire. Ici, sa forme trapézoïdale épouse les contraintes programmatiques, d’où son entrée principale au fond de la place. Son élancement vers le ciel renvoie à la symbolique du céleste. Et sa structure et son enveloppe, à celle du patron auquel elle rend hommage.

Je le répète ici sciemment: une église paroissiale s’organise autour d’une nef, d’un chœur et d’un autel. Là, pas de plan en croix (contrairement à Saint-Jean) mais plutôt en longueur de type salle, et de surcroît en forme de trapèze. Parce qu’après tout, qu’est-ce qu’une église sinon le lieu d’assemblée des citoyens (voir en introduction de l’article précédent) et donc, par simplification organique, un espace couvert que l’on nommerait aujourd’hui communément un hall. Le clergé ne pinaillait donc pas sur la forme du plan, contrairement à d’autres maîtres d’ouvrages! Sauf qu’ici, ce ne fut pas l’avis de tous. Pour l’anecdote, quel ne fut pas l’étonnement des paroissiens devant cet édifice aux allures d’ateliers, de marché couvert ou, allons-y, d’entrepôt.
Et pourtant, c’est grâce à ce grand dépouillement, parce qu’il n’y a pas de surcharge ornementale, que chacun appréciera une formidable impression de légèreté, sans véritable effet de masse. Car ici, à chaque fonction correspond un volume propre dans la composition. L’auvent, le narthex, la nef, la chapelle de semaine, le clocher et le presbytère, chacun est à sa place, distincte et dévolue. Avec à l’évidence, et à l’extrémité de la pointe haute de la nef, le clocher comme point d’orgue, tout en sobriété, tel une échelle vers le ciel. Dans un style épuré, synonyme de vérité parce que sans camouflage, cette église se distingue de bien d’autres par son expression élémentaire et explicite.
Et parlons-en, maintenant que nos yeux parcourent cette façade, de ces deux caractéristiques: élémentaire et explicite. Par elles, j’y vois ce que je vous annonçais en introduction, ses énergies réunies, tant par sa physionomie que par sa toiture et son habillage: trois approches pour apprécier son visage. Parlant de sa physionomie, j’aimerais vous suggérer l’idée suivante. En trois coups de crayon, l’architecte nous propose un étagement et un concentré de symboliques. Sur la large bande horizontale de la chapelle, assise synonyme d’enracinement à la terre et de stabilité, se développe la courbe parabolique de la nef, formidable dynamique où l’énergie est donnée par un mouvement ascendant. Et, pareil à un tuteur métallique maintenant les précédents, la verticalité du clocher qui relie Terre et Ciel, comme un ascenseur pour le sacré. Ensuite, attardons-nous un instant sur la toiture de la nef. D’ailleurs, on s’aperçoit par le côté qu’elle est recouverte d’une étanchéité en asphalte, la plus efficace de toutes, impénétrable. Et comment ne pas y voir, par son profil, un tremplin vers le Divin, dans une symbolique d’élévation spirituelle? Ou comment ici, par une dilatation de l’espace vers le ciel, vu d’un paroissien assis sur un banc, formaliser l’idée de l’infini dans un espace fermé, de l’ascension spirituelle dans du bâti. Enfin, j’aimerais aussi vous proposer une interprétation toute personnelle de ses flancs recouverts de bardage en tôle nervurée qui, par l’effet de la lumière claire et pure du matin, l’habille ainsi. Je dirais qu’il fait preuve de simplicité, peut-être dans une assimilation au voeu de pauvreté, mais surtout qu’il me fait penser aux plis des vêtements liturgiques blancs, ceux qu’on appelle aube, où le cordon ceinturant la taille pourrait être ici représentée par cette serrurerie noire, sobre et élégante. Et vous, qu’en pensez-vous?
Avant de vous quitter, j’aurais un petit mot sur le large auvent plat et percé auquel se joindra plus tard un petit jardin de méditation. Tous deux œuvrent à une mitoyenneté des espaces religieux et public, dans un côte à côte d’abri et d’agrément. Parce qu’en entrée d’îlot, sur fond d’immeubles d’habitation et d’équipements publics où parfois la tranquillité le dispute à l’ennui, la place de l’église tient aussi lieu de rencontre, sans se couper du monde qui l’entoure, par son visage urbain et social. À suivre…
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