C’est beau un mur qui vieillit!

« la Révolution française »

7 rue des Colonnes . Paris 2e

Immeuble d’habitation – 1797

Alors que je rentrai chez moi, croisant sur ma droite le palais Brongniart et son péristyle d’ordre corinthien aux colonnes hautes et élancées, par ma tête tournée à le regarder, mes pas dévièrent de leur chemin et m’emmenèrent un peu plus haut, au croisement d’une rue qui n’a pas son pareil à Paris: je veux parler de la rue des Colonnes. D’une colonnade l’autre. Là, à gauche et à droite, de petites colonnes trapues au style dorique toscan, d’où naissent et finissent à partir de palmettes en médaillon des arcades à glyphes supportant des murs en pierres de taille dépouillés de tout ornement, libérant à rez-de-chaussée de tranquilles cheminements ombragés.

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La rue des Colonnes a ceci de particulier: son existence a été tissée à partir des pelotes de la petite et de la grande histoire. La petite se déroula en deux temps: vers 1792, il était convenu de transformer un passage privé d’un hôtel démoli en une voie publique à colonnades pour offrir un débouché sur le côté au théâtre Feydeau; un quart de siècle plus tard, le préfet Chabrol perça la nouvelle voie par son milieu, reliant la rue de Richelieu à la Bourse de Paris. Pour la grande, « quelle audace! » aurait pu nous souffler Danton: il fut construit des immeubles de rapport au cœur de Paris en pleine Révolution. Etait-ce bien le moment?

Nicolas Vestier (1765-1816), qui en dessina les plans et commença le chantier, dû laisser sa place (était-il lié à des personnalités en jugement au Tribunal révolutionnaire?) à Joseph Bénard (1764-1824) dès janvier 1795, qui livra les bâtiments en 1797. Même coupée en deux, le résultat est splendide: en particulier l’une des façades tardives (au croisement de la rue de la Bourse avec le 7 rue des Colonnes) qui fait naître en moi des sentiments particuliers. Mais avant, repérons-nous un peu. La rue des Colonnes s’organise autour de son intersection avec la rue de la Bourse par l’élévation de quatre immeubles ordonnancés par un rez-de-chaussée entresolé (où logent des commerces) surmonté d’un étage noble (à balustrades en pierre) puis de deux étages à hauteur décroissante couronnés d’une corniche saillante (à modillons en sous-face) séparant un attique composé d’un étage carré doté d’un balcon filant (en fer forgé à simple barreaudage vertical rythmés de portillons) puis d’un comble en pente avec lucarnes. Seul celui cité plus haut m’intéresse plus que tout, et je vais vous dire pourquoi.

Primo, pour ce qu’il n’est pas. Il n’a pas fait l’objet d’une restauration poussée, contrairement à celui qui lui fait face au sud dont le ravalement a ôté définitivement toute l’expressivité datée des pierres qui composent sa façade, un lifting qui n’a de justification qu’un jeunisme à tous crins. Baste!

Deuzio, pour ce qu’il est. Coincé entre le ciel et le balcon filant, lui seul possède un comble bombé, où s’organisent sur un double niveau en lucarnes fenêtres et porte-fenêtres. Croyez-moi sur parole, cette toiture nous donne un sentiment de proximité depuis le trottoir d’en face, et non pas l’éloignement causé chez ses voisins par l’obsession de construire toujours plus, plus haut et de fait plus loin. En tendant le bras, je vous assure que j’ai imaginé caresser cette courbe qui s’évanouit vers l’arrière dans le ciel!

Colonnes (Révolution Française)

Osons un deuzio bis. Comment ne pas souscrire à laisser vivre une façade en pierres de taille, nous en avons l’exemple parfait devant nous. Non seulement à hauteur du toucher, voyez les colonnes qui, comme à l’antique lorsqu’elles représentaient des arbres, s’écorcent au cours des ans parce que le calcaire aussi se desquame d’une fine pellicule abîmée. Mais aussi à hauteur de vue, où l’assemblage du mur nous rappelle le travail des tailleurs: ici des grands appareils, là des moyens et ailleurs des petits pour bloquer l’ensemble; écoutez les uns encore à l’œuvre avec leurs outils en fer en ajuster certaines au millimètre et d’autres criant, dans le brouhaha du chantier, des ordres de déplacement et de pose, les ajustant avec soin et précision. On pourrait même les compter et refaire le film de leur assemblage!

Ne comptez pas sur moi pour vous parler ici du style austère de la façade. Quoi, en pleine Révolution, on ne peut faire qu’une façade dépouillée des ornements du style Louis XVI! Ce qu’il faut voir ici, c’est la beauté de ce mur qui vieillit, et ce malgré quelques cicatrices, qui a affronté depuis deux siècles certes la pollution ou la main de l’homme (quelques rustines), mais aussi tous les vents, toutes les pluies, et enfin les rayons du soleil nous dévoilant les teintes jaune doré de ces blocs extraits des carrières du coin.

Laissons l’histoire en paix; et qu’elle se révèle à nous naturellement, avec le poids des ans qui lui va si bien!

LFAC

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