Bureau de poste et immeuble de logements, 195 avenue Jean-Jaurès (19e).
Livré en 1991 par Aldo Rossi (avec Claude Zuber).
“Tiens! un cylindre bleu…”, se dirent sans doute interloqués quelques piétons devant telle… incongruité. D’autres, certainement habitués, passent tout bonnement leur chemin. Mais qu’est-ce donc? Eh bien, c’est du postmodernisme qui, presque par définition, est une riposte aux convenances modernistes, provoquant ainsi un gros chagrin chez les anciens des Trente Glorieuses! Tout comme ses froids écrits, contrastant avec ses chauds dessins, cette unique construction parisienne d’Aldo Rossi (qui réalisa également, dans le Limousin, le Centre international d’art et du paysage de Vassivière) est plutôt difficile à appréhender. Néanmoins, elle transcrit « in vivo » (du papier au chantier) l’expression d’un nouveau paysage linguistique, un vocabulaire de formes inspirées du nord de son Italie natale mais aussi celles de ses pérégrinations, y compris parisiennes. Tentative exploratoire.
Architecte diplômé au Politecnico de Milan, théoricien et rédacteur, enseignant et designer, Aldo Rossi (1931-1997) fut aussi renommé qu’influent depuis la fin des années 1960, initiant le mouvement Tendenza (école de pensée critique prônant le retour à l’histoire). Lauréat du Prix Pritzker en 1990, il devint un “must have” même s’il enseigna tant qu’il construisit peu. Son idéal, il le bâtit dans l’autonomie d’une architecture de ville, jalonné des traités de la Renaissance théorisés par Leon Battista Alberti et des peintures mélancoliques de places italiennes de Giorgio De Chirico, avec comme garde-fou la citation de Baudelaire: “la forme d’une ville change plus vite, hélas! que le cœur d’un mortel”. Prolongeant un dialogue entre mémoire collective et temps présent, dans une continuité historique, il empruntera des fragments issus de souvenirs qu’il collera, transposera et répétera jusqu’à établir une architecture retrouvée, qu’il appellera « analogue », recomposant une unité à partir de l’inventaire de choses vues.
Lauréat d’un concours restreint ayant pour objet la construction d’un ensemble associant un bureau de poste à 91 logements, Aldo Rossi dût composer avec une parcelle étriquée, exagérément oblongue sur un axe nord-sud et donnant à l’est sur un parking – avantageusement nommé avenue du Nouveau Conservatoire – où l’imposant Conservatoire (de Ch. de Portzamparc) du parc de la Villette construit concomitamment lui tourne le dos. L’architecte y dessina un bâti disposé en équerre. Alors que des façades conviviales donnant sur une cour intérieure (résidentielle) orientée plein ouest sont soustraites au domaine public, celles qui se laissent voir s’organisent en une partition en trois mouvements, texturées en trois matérialités et approvisionnées d’éléments typologiques comme autant d’événements successifs extraits de son livre intime, son architecture autobiographique.
Au fil des pages, une séquence de « collages »; ainsi lit-on la tessiture de son architecture. Les unes après les autres, des formes géométriques – carré, cylindre et perspective – couvertes de matières – brique, tôle et pierre – dotées de couleurs – rouge, bleu et crème – sont dessinées, réunissant ainsi les composants architecturaux qui lui sont familiers. Au début, sur l’avenue, une façade carré-brique-rouge: damier de fenêtres carrées, linteaux en acier (peint en vert) et couronnement en béton (blanc). Une analogie aux warehouses, les entrepôts pré-industriels typiques que l’architecte a vu “on the road” aux États-Unis, comme l’image inscrite dans sa mémoire pour illustrer l’idée du service collectif; et, par l’association tricolore et le profil de la corniche, comme des touches nationale pour l’une et le souvenir des planches de dessin d’antan pour l’autre. Ensuite, à l’articulation de l’ensemble bâti, l’élément phare du programme: le bureau de poste. Vu le logotype du destinataire, il aurait pu être jaune mais il est bleu, bleu de France et… azzuro. Souvenir de la rotonde – cylindre surmonté d’une coupole – de San Lorenzo (à Mantoue), il la traduit en une gaine de tôle azurée. Figure d’un engin aéropostal postmoderne gorgé du bleu du ciel avalé à chaque vol? Son pas de tir: le retour du bâtiment en brique, tour de lancement… ou campanile! Et à nouveau des ouvertures carrées: là, des loggias pour quatre baies de part et d’autre d’une croisée… ô souvenirs, revus et corrigés, des ouvertures des palais de la Renaissance. Enfin, l’envers du décor, celui des grands corps. Fuyante et dynamique, comme sur la planche à dessin: la perspective. Terminée par un mur comme extrait du primo-bâtiment, elle donne naissance et déploie deux entités, identiques et répétées, revêtues d’un calcaire racontant l’histoire de la pierre (de la carrière au tailleur) et renvoyant au teint parisien (et au Conservatoire?). Et de fond en comble, l’esprit des expériences mêlées: un soubassement en galerie de portiques (comme il le fit dans le quartier Gallaratese, à Milan) et un toit bombé garni de lucarnes (à l’image du Palais de la Raison, à Padoue) tirent les horizontales à l’infini. Postmodernisme oblige, pour ventilation des combles, des oculi percés dans les murs aveugles tels des pignons cyclopéens. Se souvenir des choses vues, coller les images, et recomposer une unité: pratique d’un nouveau langage, par moments abscons, mais remodelé avec des mots connus de tous, plus écrit que dessiné.
Le postmodernisme, album de famille architectural, plait aux revues et aux édiles. Il se charge d’un corpus de références et de textes explicatifs. Pourtant, et nous le savons, les grandes œuvres se suffisent à elles-mêmes… elles sont, un point c’est tout. Style Second Empire revisité, avatar du Pop Art ou bien retour aux formes classiques bavard… et increvable? Un bruit de fond: le fond diffus de l’architecture. Mais comme j’y vais de ma critique! Beaucoup s’extasient devant les espaces d’Abraxas à Noisy-le-Grand (de R. Bofill) ou la cathédrale de la Résurrection d’Évry (de M. Botta), et c’est tant mieux; parce que l’architecture est le reflet de son époque, de ses avancées techniques comme sociales, mais aussi de son approche de l’idée de beauté et de liberté pour toute une génération. Né aux États-Unis au cours des années 1960 sous la plume de R. Venturi et de D. Scott-Brown, le postmodernisme demeure… et divise. Aldo Rossi fut témoin de son temps.
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