Fondation suisse, ex-Pavillon Suisse, CIUP – 7k boulevard Jourdan (14e).
Livré en 1933 par Le Corbusier (et Pierre Jeanneret).
Soudain, un vent de liberté souffla sur l’habitat… Son plancher se souleva du sol et devint abri, soutenu par quelques pilotis. Son ossature s’affranchissait des murs de façade, porteurs traditionnels, et obtint l’indépendance. Son plan se libéra, disposant à volonté les locaux qu’il accueillait. Sa façade aussi s’éprit de liberté, s’offrant désormais à de longues fenêtres pleines de lumière. Et enfin le toit se découvrit, dévoué tout entier à l’air, au soleil et au ciel. Le monde de l’architecture fut bouleversé, c’était il y a presqu’un siècle de ça, et c’était le dessein de Le Corbusier. Âme libre et pratique, phare dans sa discipline et au-delà, le maître théoricien eut une approche sensorielle et cognitive dans son étude du modèle social destiné à l’habitation. En 1933, à la Cité Internationale Universitaire de Paris, il livra une résidence pour étudiants – le Pavillon Suisse -, désormais appelée « Fondation suisse », témoignage d’une mise en pratique de ses théories.
Il libéra l’architecture de ses composants anachroniques lorsqu’il publia, quelques années plus tôt, les ‘Cinq points d’une architecture nouvelle’. Quelle audace chez celui qui apprit l’architecture sur le tas, d’abord à l’agence des frères Perret où il étudia le béton armé puis, carnet de croquis en main, en terres fertiles de Grèce et d’Italie où il embrassa quelques idéaux. Il reçu donc commande de réaliser un bâtiment – transnational – pour universitaires partis à la découverte d’une culture étrangère. Se souvînt-il alors de son apprentissage itinérant? Voulut-il transmettre l’idée du voyage, celui intérieur et contemplatif, immobile et collectif, de la connaissance? Sinon pourquoi avoir conçu ce navire en cale sèche, vaisseau helvète en terre des Lumières, grouillant d’un pont l’autre – cabines et corridors superposés – de jeunes étudiants à l’âme aventureuse. L’abord, de plain-pied (à quai!) parce qu’il faut bien embarquer, se fait par un hall donnant sur une bibliothèque-réfectoire (les nourritures terrestres?) de forme vague où vient s’ourler le départ d’un escalier qui, ajouré au ponant (sur des couchants flamboyants?) de briques de verre, grimpe jusqu’au toit (le pont supérieur!) d’où l’on voit moutonner l’écume verte des arbres dans l’océan de verdure de la Cité.
La pensée de l’architecte est complexe, et tout fut écrit. Peintre-sculpteur le matin et architecte-urbaniste l’après-midi, autant sollicité que décrié parce que – réputation faite – figure incontournable voire imposante, il se rappelle au bon souvenir d’architectes qui, autour d’un té et d’une équerre, évoquent encore les éléments de son langage moderne aux mesures de l’homme (comme on le vit plus tard avec son Modulor, l’Unité d’habitation et le mobilier dessiné par Charlotte Perriand). Dans son travail, seuls le corps et l’esprit l’importent, sans compromis; le reste, la mode et les académies, est tricard. Mort (avec ses idées) il y a plus de 50 ans, son aura reste vivace malgré des jugements par contumace contentieux. Son œuvre visionnaire fut régie par l’association indéfectible du pratique et du poétique, filiation « naturelle » pareille à celle de l’ombre et de la lumière. Pour la pratique, j’appelle à se présenter: les pilotis, l’ossature indépendante, le plan libre, la façade libre et le toit-terrasse. Et, par delà l’observation, nous verrons jaillir une « fantaisie » poétique. Corbu déchaîné!
L’habitat ne commencera qu’à l’étage, l’emprise au sol sera déplacée en toiture… et le rez-de-chaussée sera reconquit au profit de l’habitant-piéton. Grâce aux massifs PILOTIS, l’habitation n’est plus vautrée le long d’un caniveau, le promeneur n’est plus bridé dans un couloir nommé trottoir, un abri aménagé est restitué à la convivialité citadine: bref, un proustien espace retrouvé. Galbés, leur finition en béton brut de décoffrage laisse un grain velouté au toucher.

D’ordinaire, d’épais murs portent de fond en combles planchers et toiture: l’habitat est donc cerné et compartimenté. L’OSSATURE INDÉPENDANTE redéfinit la portée: elle sera minimaliste (la base du pilier pour l’emprise au sol) et débordante (grâce au porte-à-faux). Pareille au tronc et branches d’un arbre portant haut – à la lumière du jour – feuillage et fruits, elle ne porte que des planchers foisonnant de logements et d’habitants. Ici, réduite à l’essentiel, un seul plancher portera une carcasse (donc ajourée) métallique.

Puis vint le PLAN LIBRE, un plan aux semelles de vent un peu rimbaldien, qui n’en fait qu’à sa tête. Les murs porteurs ayant été saqués, un éventail de possibilités d’aménagement des espaces était proposé. On pouvait faire un plan sans entraves, mettre des cloisons où bon nous semblait, à la carte, suivant le programme, adapté à chacun. Aujourd’hui, on le bourre toujours d’accessibilité handicapés; Le Corbusier faisait de l’adaptabilité pour tous!

Où sont les murs de façade? Disparus au profit d’une carcasse, fine et légère, support de planchers et de pans de verre ou de pierre. La FAÇADE LIBRE change l’état d’esprit, et d’allure. Elle s’habille au gré du climat, et non suivant l’apesanteur académique: chemise boutonnée au Nord (de petites fenêtres) et ouverte au Sud (tout vitrage dehors, proéminent). « Vive les façades libérées! », entendons-nous parmi la gente masculine largement surnuméraire dans la profession? Tout est désormais permis: c’est une révolution… contextuelle.

Nous voilà au sommet, sur le toit de l’habitation. Aujourd’hui, le TOIT-TERRASSE est considéré comme moderne, et on y met les jardins bannis du sol. Le Corbusier l’avait imaginé comme un balcon sur l’horizon, l’ouvrant de-ci de-là (des pleins et des vides) pour y dessiner – sur ce plancher en plein air quelque peu abrité – un jeu d’ombres et de lumière. Les habitants y montent, devisent avec le monde ou paressent loin du bruit, et plus près d’un ciel muet où volent les oiseaux, libres.

La belle architecture, celle qui nous permet d’aller au-delà de l’analyse formelle, celle qui est adaptée à ses utilisateurs, et qui suscite des émotions et se nourrit de poésie, voilà comment il faut – selon moi – lire les intentions de Le Corbusier, un peu rousseauiste finalement dans l’âme. Car, voir ne procède pas uniquement d’un constat oculaire, c’est observer, ressentir, comprendre, assimiler et laisser l’imagination continuer son chemin. Une promenade poétique des sens et de la connaissance.
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