CARAN (Centre d’Accueil et de Recherche des Archives Nationales)
3-13 rue des Quatre-Fils . Paris 3e
Livré en 1988 par Stanislas Fiszer
Ce qu’il y a de formidable avec l’architecture contemporaine, c’est qu’elle suscite très souvent des avis tranchés et souvent sans concession. Or, il n’y a rien de plus normal – mes chers lecteurs – puisqu’elle est, pour certains, une forme de contestation à un académisme jugé passéiste, et pour d’autres, une ré-interprétation moderne des valeurs sûres établies par les maîtres anciens. Bref, comme ça tirait à hue et à dia, le plus simple était de l’étiqueter d’éclectique pour les cartésiens, et d’adopter une sorte de « bof! » attitude chez les mystiques.
Même si je répète que je suis un promeneur parisien, et non un historien de l’architecture, là je vois un bâtiment singulier: le CARAN (Centre d’Accueil et de Recherche des Archives Nationales) situé au 3-13 rue des Quatre-Fils, Paris 3e. Décrié en son temps, et pourtant lauréat du concours, il est tout à fait représentatif – me semble-t-il – du discours interrogatif du parisien sur l’architecture de cette époque, celle de la fin des années 1980, même s’il propose par endroits des saillies atypiques du langage architectural local, se prêtant ainsi à l’exercice pédagogique appelé « à la manière de… ».

Juste avant de revenir à l’objet de l’article, permettez-moi cette courte assertion sous forme d’aveu: le CARAN ne m’est pas venu aux yeux en me promenant mais au cœur par les sentiments, et j’espère que mon commentaire n’en sera pas pour autant biaisé. En effet, c’est en côtoyant un talentueux architecte sur notre lieu de travail qu’il me fût présenté avec animation et émotion. Quand la transmission du savoir se fait dans la camaraderie, elle laisse une empreinte indélébile: merci mon ami.
Ce bâtiment est tout à fait singulier dans le sens où l’atmosphère qu’il dégage en façade ne présage en rien (ou presque, et nous y reviendrons) des ambiances qu’il nous réserve à l’intérieur. Je vais être un peu trivial mais, au-dedans, il sent l’architecture à plein nez. Nous avons dès le hall d’entrée un plafond structuré en béton brut à la Louis I. Kahn, donnant une impression de perspective, piqué en son milieu d’une volée d’escalier dessinée d’un trait, et dans notre dos une salle vitrée suspendue à la Pierre Chareau; ailleurs, une salle de lecture au plafond impressionnant à la Alvar Aalto, et du mobilier à la Frank Lloyd Wright, le tout dans une ambiance de quiétude et d’harmonie. Bref, l’exercice « à la manière de… » est subtilement réussi à l’intérieur de cette boîte à bijoux architecturaux. Bien que la vue sur le jardin soit très agréable, il est temps de prendre l’air et de revenir à la façade sur rue car tel est le sujet de nos articles.
Et cette façade est quelque peu difficile à lire… Faut dire que Stanislas Fiszer, l’architecte, avait à résoudre une problématique fort complexe: construire un bâtiment qui accueille du public (la consultation), qui soit un outil de travail pour les scientifiques (la recherche), capable de stocker et de restituer en toute sécurité des archives (via les techniques modernes), le tout ayant une allure contemporaine tout en s’inscrivant dans un contexte architectural ancien (le Marais) puisque situé entre l’Hôtel de Boisgelin (sur notre gauche) et les Grands dépôts Napoléon III (sur notre droite). Quel défi! D’autant que visuellement, et chacun pourra le remarquer en allant visiter le quadrilatère des Archives Nationales, ces deux édifices encadrant le CARAN présentent des styles et des gabarits différents.
Confronté à la « mission impossible » d’insertion dans le site, l’architecte s’est d’abord attaché à résoudre le problème des gabarits en proposant un bâtiment composé de deux entités – le petit et le grand CARAN – afin de « continuer la rue » et de s’aligner au mieux aux hauteurs mitoyennes, et en effectuant des percements jusqu’au jardin central au quadrilatère pour offrir des vues en profondeur et des coupures de rythmes, aérant ainsi le tissu urbain aux passants. Ensuite, sans avoir recours au pastiche, et dans le soucis de créer un bâtiment utile à ses utilisateurs, l’architecte devait profiter de cette longue façade pour optimiser la captation de la lumière venant du Nord, tout en rationalisant les surfaces pleines dotées d’un parement de pierre, au rythme rappelant celui des pierres de taille, trouvant ainsi un équilibre horizontal en deux niveaux superposés. Voilà pour le procédé, me semble-t-il.
Après avoir évoqué le fonctionnel, portons notre regard sur l’esthétique. Et c’est souvent là que les avis divergent, chacun ayant une sensibilité propre suivant son patrimoine culturel et son approche plastique du vocabulaire architectural. Ici, de toute évidence, l’architecte porta un soin particulier quant à la qualité des matériaux mis en œuvre, notamment en leur donnant à chacun un dessin particulier et une épaisseur différente afin d’animer par un jeu de teintes et de reliefs une façade au Nord, c’est-à-dire sans l’aide des rayons du soleil qui, habituellement, jouent ce rôle. Hormis le 1% culturel représenté par le bas-relief en bronze d’Ivan Theimer, ainsi que les duos de lanterneaux vitrés et la jolie passerelle en arrière-plan, nous pouvons observer que l’architecte régla sa façade en un jeu structuré et ordonné fait de pierre, d’aluminium et de verre. En architecture, souvent, l’ordre fait la beauté.
De bas en haut, il nous faut remarquer le travail fait sur le soubassement clair en pierre aux bordures finement ciselées, délimité sur la gauche par un appareillage en dégradé et sur la droite par un ensemble en caissons. Au-dessus, un joli travail en serrurerie au motif répétitif dessinant un sombre ruban d’ornement en aluminium anodisé. Plus haut, cette longue baie vitrée se finissant voûtée en toiture, donnant une impression de vastitude sommitale. Et enfin, ces quelques fenêtres en saillie à la Carlo Scarpa, qui donnent à cette façade son originalité. Le contemporain se nourrit aussi des grands maîtres.
Je vous avais dit, dans l’article précédent, que le contemporain c’est de la dynamite… Avant d’atteindre la poudre, il fallait bien commencer par les mèches, et en voici une plutôt finement tressée.
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