« Le Nouveau Monde », tour de logements au 69 rue Dunois (Paris 13e).
Livrée en 1971 par Philippe Deslandes.
À peine je sortais de la bouche de métro que je me vis sacrément bien entouré. Baudricourt, Lahire et Dunois, pas moins de trois des plus fiers compagnons d’armes de Jeanne d’Arc escortaient mes pas! Magie des noms de rues qui, parfois, nous mènent au cœur de l’Histoire… « Je rêvais d’un autre monde » alors que j’avançais pour prendre d’assaut la tour, non pas celle tenue par de traitres Bourguignons à la solde des perfides Anglais mais celle conçue par Philippe Deslandes, appelée Le Nouveau Monde. C’était le temps des Trente Glorieuses, faste pour l’architecture mais également celui des promoteurs qui baptisaient leurs nouveaux-nés dans un style ampoulé, prenant déjà leurs clients pour des cloches, en témoignent ses voisines: Chéops, Chéphren et Mykérinos, trio des tours « égyptiennes » (de J. Delaage et F. Tsaropoulos) bâties dans la foulée. Mais la vanité des hommes d’affaires, ici, n’étouffa pas la sensibilité créatrice dont fît preuve l’architecte lors de la conception – originale – de cette tour de logements. En 1971, un nouvel espoir était né.
L’espoir était un sentiment que Philippe Deslandes (1933-1988) – parti trop tôt – et son épouse et associée (sauf ici) Martine insufflèrent dans chacune de leurs créations. En 1970 à Élancourt, leur lotissement du Pré-Yvelines fut conçu comme un village dans le style communautaire, surnommé Pistons et Cylindres tant l’utopie se fondait dans un jeu de venelles animées de maisons aux volumes simples et aux fenêtres de traviole, plein d’humanité et de poésie avant-gardiste. En 1972 à Noisiel, ils livrèrent la Tour des Jeunes Mariés qui fut, quelques années avant les Tours Nuages d’Émile Aillaud, une construction toute en courbes résultant à nouveau d’un travail – plein de fraîcheur – sur la conception de la cellule de vie dans le logement de masse, preuve d’une liberté de ton peu académique à une époque où le chemin de grue était la trace à suivre. L’originalité du volume, la simplicité du plan et l’ajout de poésie sont les traits communs que nous retrouvons dans les œuvres de ce couple d’architectes méconnus ou, pour le moins, oubliés.
Et cette tour de logements est certainement la plus soignée de toutes celles – et elles furent bougrement nombreuses! – de la vaste (87 ha) opération d’urbanisme Italie 13 menée au mitan des années 1960, après celles de Maine-Montparnasse et du Front de Seine. À l’époque, Paris était confiante en l’avenir, pleine d’un enthousiasme justifiant l’expérimentation de la hauteur. Les tours étaient porteuses de promesses, sociale et spirituelle. Sociale, parce que le projet de ville verticale naît de l’intention de limiter l’étalement urbain, de stopper cette fuite en avant vers des villes tentaculaires, des continuités urbaines dévorant bourgs et villages et les digérer en des villes nouvelles détonantes. Il y avait pourtant une logique urbanistique, liée à la géographie des lieux: la verticalité des villes se distinguant de l’horizontalité des campagnes, discernant le désir d’ascension sociale de la nécessité de cultiver son champ. Spirituelle, parce que l’axe vertical permet à chacun d’aller chercher un nouvel horizon, de voir au-delà. L’homme, s’étant redressé, s’est par conséquent différencié de l’animal et, une fois debout, devenu être humain, il marcha vers sa destinée qu’il devinait au loin. Les tours, c’est l’architecture debout! Alors, à l’habitant de s’habituer à regarder autrement son environnement, où il n’est plus question de tissu mais de paysage urbain. Changer d’architecture, c’est changer de vie… Et Raymond Lopez, architecte-urbaniste chargé en 1958 du plan d’urbanisme directeur de Paris, de soupirer avant de casser sa pipe: « Pauvre vain peuple dont les réactions préfabriquées sont affublées du titre ronflant d’opinion publique et dont le goût consiste à louer systématiquement tout ce qui est vieux ou semble vieux et à dénigrer systématiquement tout ce qui est nouveau ou semble nouveau ». Le flambeau passa en d’autres mains, et le foncier supplanta le débat. Que de temps perdu!



En 1971, il restait encore un espoir. Un architecte érigeait ici une tour de logements au volume original, où de successifs ressauts formant des bow-windows d’angles filant toute hauteur dégagent des vues à double orientation au sortir des chambres donnant sur les séjours. Généreux coins où il fait bon s’installer, prendre un bouquin ou contempler les toits parisiens. Tous les appartements, à l’agencement simple et efficace allant du studio au 4 pièces, sont distribués par rayonnement autour d’un noyau de circulations verticales; pas de surface perdue, que de l’espace gagné. Et, pour les étages courants, où la composition d’ensemble est tenue par la répétition rythmique d’éléments-types – règle intransigeante nécessitant un dessin délicat aux proportions justes pour qui veut réussir sa tour -, Deslandes dessina de subtils ensembles vitrés, aux contours rappelant celui du plan, et des motifs en creux, comme d’ornementaux fermoirs de ceinturons en allège. De la poésie, ici et là, qui témoigne de l’esprit de l’architecte. Enfin, à rez-de-chaussée, on devine la structure en béton à laquelle l’architecte apporta un soin particulier, la laissant brute d’un coffrage à la planche où le travail des ouvriers, par l’empreinte de l’essence du bois utilisé, restera gravé dans la mémoire – le récit de la mise en œuvre -.
Douce ivresse que d’habiter là-haut, les tours murmurant à l’oreille de ses habitants: « Là-haut, tôt le matin, tu embrasseras l’horizon, attendant les premières lueurs de l’aube. Là-haut, en plein jour, tu observeras de près le vol léger des oiseaux et, poussés par les vents, au loin, les nuages passer. Oui!, là-haut, tu habiteras le Ciel… Puis, à l’heure du crépuscule, l’obscurité se faisant lentement, là-haut, tu apercevras de longues guirlandes de loupiotes s’illuminer, flottant au-dessus des rues encore animées. Et plus tard, là-haut, le premier à saluer la Lune, tu contempleras ses voisines, les étoiles, s’allumer et briller dans la nuit, alors que les habitations s’éteignent et que la ville s’endort. Enfin, là-haut, dans ton sommeil enveloppé de songes, tu dessineras un Nouveau Monde; et qui sait, le jour naissant, un nouvel espoir, avec toi, s’éveillera. » Altitude attitude.
LFAC
Vous devez être connecté pour poster un commentaire.