Messe pour un ensemble contemporain.

ORGUES DE FLANDRE

Îlot Riquet (av. de Flandre, rues Riquet, Curial & Mathis) – Paris 19e.

Ensemble de six bâtiments livré de 1970 à 1980 par Martin Schulz van Treeck.

Ici, un architecte a failli toucher le ciel… En cette fin des Trente Glorieuses, Dieu (Le Corbusier) venait de casser sa pipe et laissait vacant le strapontin divin que se disputèrent un peloton de demi-dieux (dont certains figureront dans les prochains articles) qui, démiurges corps et âme, annonçaient des formes nouvelles pour l’habitat, rachetant nos vies citadines. Ouvrez vos yeux, concitoyens, car notre royaume est là, de leurs mains tout entier façonné: c’est par eux que se crée le monde pour l’habiter!

Pardonnez-moi ce discours impénitent, mais il est certains architectes qui portèrent leur réputation comme d’autres leur croix. Martin Schulz van Treeck, dont le pari architectural vaut bien une messe, brilla et se consuma telle une étoile filante dans le paysage urbain parisien durant les années 1970. Son message: créer une grande maison comme une assemblée de citoyens, s’élevant autour d’un jardin. Ce sera à la fois son point d’orgue et son coda.

Une fresque sous nos pieds, et passant sous un portique où il est gravé « Porte des Flamands », nous entrons dans ce que l’on appelle les Orgues de Flandre (îlot Riquet, Paris 19e), comme un petit bourg dans la grande ville. Sur un îlot de 6ha, l’architecte réalisa 1950 logements (moins de 5000 habitants) sur une période de dix ans par la construction de six bâtiments (dont quatre tours) distribués par un jardin. De toute évidence, nous venons de changer d’échelle. Il s’est agit de travailler en masse: en plan de masse avec l’îlot (et non plus la parcelle) comme assiette foncière, et en logements de masse (et non plus l’immeuble de rapport) agencés de telle manière que les façades se plient et se déplient comme un ruban urbain autour du jardin, offrant ainsi de nouvelles vues et perspectives à l’habitant.

Passé le portique, nous progressons sous des façades couvertes d’ocre et de céramique blanche traitées en encorbellement, pareil à une procession avançant sous les tribunes flanquant la nef d’une cathédrale. Mais ici, pas de croisées d’ogives, le plafond s’ouvre au ciel en son cintre, offrant un filet de voûte céleste comme fresque vivante. J’ai comme la sensation de pouvoir toucher ces tribunes si je me mettais sur la pointe des pieds, d’avoir accès à la volumétrie. Le créateur (l’architecte) a travaillé son projet en maquette, pas celle de présentation qui ne donne que des perspectives promotionnelles à la clientèle mais, celle réaliste qui sert d’études poussées pour examiner le projet, en inventant un endoscope architectural, qu’il appela « relatoscope », instrument de télé-vision dont l’objectif n’est pas de voir à l’intérieur mais de l’intérieur les vues ordinaires d’habitants ordinaires. Alléluia.

Passé les tribunes, nous arrivons dans le jardin, au cœur de l’îlot. Là, faisant un tour complet sur moi-même, je perçois davantage la vision bienheureuse de l’habitat que cherchait à atteindre l’architecte. Il sera donné au peuple une vue sur le monde et, en s’élevant vers le ciel, il pourra observer le soleil dans sa course illuminer de ses rayons son logement, du lever au coucher, loin des pollutions de la circulation, jouissant des agréments d’un jardin. Oh, le gazouillement des oiseaux m’invitant à cueillir des pommes d’or!, et je vois… ‘Je vois, dans la ville, des géants. Des monts et des collines urbaines qui s’élèvent et tournent autour de moi. Je vois la main du créateur voulant faire toucher aux habitants les étoiles, désir d’un homme destiné aux espérances d’autres hommes. Je vois la création d’un mode de vie, la vie d’un petit monde aménagé dans le désordre du grand monde. Je vois enfin un îlot de micro-cité, de cité idéalisée.’

Pardonnez-moi cette envolée mais j’ai cru entendre des voix, certainement les orgues chanter pour moi. Devant nous, s’élèvent jusqu’à toucher le ciel quatre tours répondant aux noms de Prélude, Fugue, Cantate et Sonate. La plus majestueuse d’entre elles est la Prélude. Du haut de ses 123 mètres, elle domine le ciel parisien considérant que c’est une tour d’habitation. Malgré sa nouvelle tunique faite de cassettes métalliques (des travaux d’ITE – Isolation Thermique par l’Extérieur – étaient nécessaires) en remplacement des carreaux de céramique qui se délitaient, elle conserve son caractère symbolique qui, comme faite de tuyaux de différentes hauteurs juxtaposés, et en compagnie de ses trois sœurs, forme les Orgues en résonance avec les deux bâtiments plus bas, conçus comme leurs consoles, dans une chorale architecturale. Ici, tout chante la lumière et la grandeur, sa splendeur. Levez les mains et chantez sans fin: « Que soit béni…, etc, etc ».

Revenons sur terre. Je vous parlais, plus haut dans l’article, de mon impression d’entrer dans une cathédrale (fille des villes, dit-on) à ciel ouvert. Pour beaucoup, cette architecture ne fut que spectaculaire, voire inappropriée dans la ville des lumières, ville musée. Alors que la campagne s’étire en longueur bordant des champs paisibles et odorants, des villes nouvelles sortent de terre ici et là comme des laboratoires urbains. Pour moi, nulle autre que la métropole se prête le mieux à l’expérimentation de l’habitat. À chacun son dû. Alors, on fit taire l’architecte, et les orgues resteront muettes, sans lendemain. De sa main pataude, et non divine, un étranger au domaine de la créativité s’est invité à la table, et ce fut le crépuscule de l’architecture prospective. Ce Judas (vous l’avez reconnu: le promoteur, ma marotte) embrassera l’habitat de ses longs bras de projets immobiliers, avec la bénédiction du grand prêtre urbain, l’édile. L’architecte, lui, artisan de vies futures par sa main créatrice et son esprit fécond, sera sacrifié sur l’autel de l’orthodoxie électoraliste, à grands frais pour le petit peuple silencieux à genoux.

Et pourtant, chacun doute bien que l’homme du futur ne pourra longtemps se satisfaire du tout-venant. Alors je crie: « rédemption! ». Et ce rachat se fera ici, à titre d’exemples, en convoquant d’autres architectures contemporaines, d’autres architectes qui nous proposaient un avenir radieux, pour une cité radieuse, émancipée. À suivre…

LFAC
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