Immeuble de logements sociaux, 8 rue Elsa Morante (Paris 13e).
Livré en 2007 par Aldric Beckmann et Françoise N’Thépé.
Ailleurs, j’ai lu de courts textes jumeaux où il était écrit – comme gravé dans le marbre – que ce béton, teinté dans la masse, était de couleur chocolat. Ici, j’ai vu des murs d’ocre rouge… Matière minérale, que des peuples sous d’autres latitudes – plus équatoriales ou tribales, d’Afrique ou d’Amérique – avaient obtenu en creusant les sols argileux voisins riches en oxyde de fer, non toxique et inaltérable, puis lavé pour enfin bâtir les murs de leurs maisons et, parfois même en la mélangeant de graisse animale, s’enduire le corps. Magnifique!, que cette ancestrale conception du circuit court – du sol que je foule, je constituerai les murs de ma maison – et du désir de parité avec son environnement – de la même teinte je me couvre, ma maison et moi sommes associés -. De nos jours, à Paris assise sur du calcaire lutétien, les choses se compliquent un peu, reconnaissons-le. Pourtant, ici et là, des bâtiments nous transportent dans des imaginaires sans frontières, où des visuels universels et intemporels se mêlent. Là, j’ai vu comme sculptée de terre et de soleil une maison d’ocre rouge aux rubans d’or.
Remarqués lors du concours de réaménagement du parc zoologique de Vincennes dont ils furent lauréats en 2006, Aldric Beckmann et Françoise N’Thépé (associés depuis 2000 mais chacun œuvrant, aujourd’hui, de son côté) se distinguèrent rapidement par leur capacité d’innovation mais aussi par la qualité d’exécution de leurs ouvrages, notamment ici lors de leur second ‘grand œuvre’ où ils livrèrent en 2007 un immeuble de logements à l’aspect singulier, rehaussant la valeur sociale jusqu’ici teintée de terne réputation. Plus tard, en 2012 pour des logements à Évry, une fois encore ils firent preuve non seulement d’originalité mais aussi de pertinence graphique dans le difficile domaine du logement social de masse. Leur touche se révèle de prime abord par une impression générale de masse, de pesanteur, qui s’estompe lentement – par pénétration dans notre âme – laissant la place à une agréable sensation de légèreté, d’allégresse, sans doute grâce à une animation surprenante des volumes et des percements. Là une faille ou un surplomb, ici la présence inopinée de terrasses, et partout une rythmique enivrante des baies; bref, tout nous captive dans un assemblage de volumes simples – coulés sur deux niveaux de hauteur – et badigeonnés dans un nuancier de teintes judicieusement choisies pour susciter chez nous une bousculade d’émotions: ici, un béton teinté d’ocre rouge dans la masse rehaussé d’une lasure d’or.
Le secteur de la ZAC Masséna-Bruneseau, troisième tranche des travaux d’aménagement de la ZAC Paris Rive Gauche, est sous la direction de Christian de Portzamparc, lauréat du prestigieux Prizker Prize en 1994 et initiateur du principe de l’îlot ouvert (sa plus grande œuvre à mon sens, qui révolutionna notre approche urbanistique à la fin des années 1980). Factuellement, l’îlot M3B3, situé au croisement des rues Françoise Dolto, Elsa Morante et Hélène Brion, au voisinage de la longue façade sud-est de l’ancienne Halle aux Farines (de Denis Honegger) désormais réhabilitée et affectée à l’Université Paris Diderot, est un immeuble d’habitation de 37m de haut en R+11 pour 4.850 m2 SHON composé de 48 logements sociaux, commerces, activités et parking. Cette description un peu sèche caractérise l’identité du bâtiment, mais n’en révèle que peu de traits. Même si ici on se borne à la surface des choses (les façades mises en volume), convenons qu’elle est le point de départ à tout voyage vers l’imaginaire, où le visible – conscient et inanimé – cède sa place à d’autres hôtes. En l’occurrence, cette terre ocreuse, trouble, dont le bâtiment semble prendre racine et se nourrir, plastique et dure, donnant formes et netteté des contours, chaleur aussi, que l’artiste parfois orne, illumine d’or, le messager solaire.



L’or, d’abord… en flammes stylisées d’un brasier sculpté ou, moins abstrait et plus vestimentaire, en rubans solaires comme garnitures de renfort à l’habit du corps bâti? Par-delà d’approximatives supputations, ces parures d’or me rappellent des œuvres de Klimt, et plus particulièrement les femmes de Klimt. Judith, sensuelle, portant haut son collier d’or alors qu’elle tient, debout contre son corps à demi voilé, la tête d’Holopherne décapité. Ah!, fatale séduction. Mais aussi Danaé, belle endormie en position fœtale, chevelure rousse et chaire nue, recevant une abondante pluie dorée d’où naîtra un héros de la mythologie grecque. Oh!, divine semence. L’or, l’omniprésent ornement lorsqu’il s’agit d’adorer, d’idolâtrer l’objet du désir.


Enfin, l’ocre rouge. Et aussitôt, d’autres images d’œuvres d’art se précipitent. Je me souviens… oui!, je me souviens d’avoir vu que nos ancêtres du Paléolithique, dotés déjà d’un sens artistique, posèrent leurs mains telles des pochoirs sur les parois de grottes et soufflèrent à la bouche un liquide coloré de ce pigment puis, les retirant, virent la symbolique représentée – ces mains négatives – pour signifier, peut-être, un « je suis ici » ou « c’est chez moi » en témoignage de leur présence dans cet habitat, ou d’autres intentions plus mystérieuses, spirituelles ou mystiques, il y a de ce-là 25.000 ans et, déjà, l’ocre rouge était là. Aussi, je me remémore d’avoir vu, sur les fresques peintes par Masaccio à la Chapelle Brancacci (Florence), des personnages – aux visages graves et empourprés – vêtus de draperies aux plis larges nuancées de rouge. La solennité de la scène, la passion, la puissance de l’art aux temps de la Renaissance, exprimées depuis plus de 500 ans grâce à ce pigment, revigorant sang de la terre. Encore cette ocre rouge apposée sur les murs par la main de l’Homme qui voit le monde avec ses yeux d’artiste. Je vois, sur les murs de cet immeuble rue Elsa Morante, de l’ocre rouge et des empreintes qui me rappellent ces jalons de l’art mémoire de l’histoire, de ce qui nous transcende, mais aussi de ce que nous sommes et du lieu que nous habitons.
Alors, afin de ne pas être « chocolat », de fait, j’ai convoqué l’imaginaire et, ici-bas rue Elsa Morante, je vois que tout n’est que Terre et Soleil, terre rouge et soleil d’or, éclat multiple d’art et d’architecture.
LFAC
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