Dans le cadre d’un triptyque sur des églises bâties au 20e siècle à Paris.
Église Saint-Jean-de-Montmartre, 19 rue des Abbesses (Paris 18e).
Livrée en 1904 par Anatole de Baudot.
S’ouvre ici un triptyque sur des églises bâties à Paris durant le siècle dernier. En trois panneaux, nous chercherons à percevoir leur visage architectural, toujours par leurs façades, tel un témoignage du passé et présent sur le domaine public.
Tout d’abord, j’aimerais vous dire quelques mots à propos de cette thématique où souvent les opinions s’opposent. Tenez, par exemple: « Pourquoi les églises, et non pas les mosquées ou les synagogues? ». Je répondrais simplement que la France est dite fille aînée de l’Église, qu’elles appartiennent à notre patrimoine au même titre que d’autres bâtiments publics ou privés, et que le fil historique de leur construction sur un siècle permet d’établir un possible comparatif. Aussi, parce qu’après avoir promené notre regard – sauf exceptions – sur des constructions réunissant des logements, j’ai voulu le poser temporairement sur celles qui abritent les « assemblées des citoyens » (telle serait la traduction du terme grec ‘ekklesia’). En préambule, je vous fais part de deux informations: une sur le format et l’autre sur le contenu. J’ai choisi le triptyque pour la symbolique de son support, fréquemment utilisé en peinture ayant trait au religieux. Et, par prudence, je ne m’étendrai pas sur la loi de séparation des églises et de l’État; sa teneur est à disposition de tous sur bien d’autres supports et n’entrera pas ici en considération.
Passé cette longue introduction, je vous emmène maintenant du côté de Montmartre, à mi-hauteur du flanc sud de la colline, au 19 rue des Abbesses (Paris 18e). Ici, une trinité d’acteurs hors pairs oeuvrèrent à la construction d’un édifice religieux pour le moins original: j’ai nommé Anatole de Baudot (l’architecte), Paul Cottancin (l’ingénieur) et Alexandre Bigot (le céramiste). C’est par elle, l’église Saint-Jean-de-Montmartre, que s’ouvre notre triptyque.

Nous sommes au tournant du siècle dernier, et l’abbé Sobaux requérait auprès des autorités la construction, sur ce terrain en pente, d’une nouvelle église au plus près d’une population montmartroise sans cesse en augmentation. Rassemblant les deniers nécessaires, il fut séduit par le projet de l’architecte, successeur de Viollet-le-Duc dans l’école rationaliste, et son langage architectural contemporain et novateur. De Baudot était un adepte du système Cottancin, inventé depuis peu et révolutionnaire dans sa conception. Il s’agissait de former une toile métallique composée d’un seul fil d’acier, plié et replié sur lui-même, où des briques étaient enfilées en périphérie, et le tout noyé de ciment. Cela donnait à l’ouvrage armé une unité structurelle et, par ses sections très minces, une pureté esthétique de nature symbolique, proche de l’absolu (entrez dans l’église et levez les yeux!). Naquit ainsi la première église construite en ciment armé.
Traditionnellement, une église paroissiale s’organise autour d’une nef, d’un chœur et d’un autel; une disposition immuable selon les prescriptions du droit canon. Ici, elle est dessinée suivant un plan dit « en croix », symbole de chrétienté et qui renvoie aux points cardinaux, se rapprochant du type latin. Je dis « se rapprochant » parce que l’architecte s’est fendu d’un petit extra: un pseudo transept supplémentaire dès les premières travées. Dans les panneaux suivants, nous verrons que l’agencement du plan est souvent revisité, entre tradition et règles de l’art, parfois en longueur de type salle ou même carrée de type centrale.
Lorsqu’on est rationaliste en architecture comme l’était de Baudot, l’essentiel est de réunir le bon sens pratique avec les nécessités du temps. En d’autres termes, bâtir selon un emploi raisonné et économique des matériaux, prenant en compte l’évolution du perfectionnement industriel. C’est pourquoi en ce temps-là, l’emploi du ciment armé se justifiait, car il pouvait être à la fois ossature et enveloppe de l’édifice, à la différence du fer. Et cet édifice fut fait comme d’un seul bloc, homogène et ajouré. Toujours chez les rationalistes si l’on pousse le principe d’unité à l’extrême, la décoration doit faire corps avec la structure, et non la masquer. Sachez que le ciment travaille en compression tout comme la brique, mais c’est aussi le cas du grès cérame! C’est là qu’entre en scène notre ami Alexandre Bigot (je dis notre ami parce qu’il était déjà invité dans notre premier article: « Un jardin minéral, plissé et vertical. »). Ces ornements furent fixés sur le ciment encore frais. Là, ils sertissent la façade de discrets listels, et les arcs brisés du clocher-porche ainsi que les fenestrages de guirlandes pointillistes, aux teintes froides et néo-byzantines, contrastant avec la teinte chaude de la brique. C’est une première, une expérimentation qui ressemble à un coup de maître.
Maintenant que nos yeux parcourent cette façade, nous remarquons sa disposition tripartite, empreinte d’une nef composée d’un vaisseau central flanqué de collatéraux, l’expression schématique (il me semble) de la Sainte-Trinité. Continuons un peu sur la symbolique, voulez-vous? Au sommet de l’avant-corps, garni de deux tours octogonales où montent des escaliers conduisant à la tribune et au clocher, j’y vois un arbre de vie stylisé façon Modern Style dans le dessin fouillé d’arcatures portant la croix. Le voyez-vous? Enfin, toujours sur le chemin bordé de symbolique et d’arts appliqués, je ne peux m’empêcher de penser, qu’ici et là, il fut parsemé de divine proportion (‘Da divina proportione’, d’après les études du franciscain et mathématicien Luca Pacioli). Son application en architecture se traduit par le dessin du tracé régulateur du nombre d’or, et tous ces segments d’arcs en sont (selon moi) le témoignage. Qu’ils soient ajourés ou vitrés, par eux passe la lumière, tout un symbole. Ici, tout concorde dans cet assemblage des arts et du symbolique, attelage patrimonial de l’architecture et du sacré, mariage du beau et du pérenne.

Sur la Butte Montmartre, à mi-distance du Sacré-Coeur et de la Trinité, au cœur d’un quartier populaire et touristique, un lieu de culte se fait aussi patrimoine culturel, comme un passeport œcuménique, universel. Par un portail ouvert du matin au soir, des fidèles croisent des visiteurs dans une convivialité silencieuse, dans une mixité sociale. De Baudot et compagnie y oeuvrèrent, loués soient-ils. À suivre…
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