Reservoir Facs: volume 1.

Bâtiment Home, 48 à 54 avenue de France (13e).

Livré en 2015 par Hamonic + Masson et Comte Vollenwedier.

Dans un coin de Paris, à l’écart des faubourgs anciens aux façades (haussmanniennes) mortes – par analogie aux langues étudiées jadis au collège -, se construit un quartier aux prétentions novatrices, lieudit d’un savoir-faire à la française. C’est au fin fond du 13e arrondissement que se dessinent l’étroite et anguleuse place Farhat-Hached (la tradition de l’hommage) amorçant la large et rectiligne avenue de France (l’incongruité du nommage). Là, se côtoient deux îlots exhibant un quarteron de bâtiments « en révolte », signes de notre temps. Parodiant Reservoir Dogs de Q. Tarentino, je bande-annonce l’improbable réunion de façades avec, de droite à gauche: Miss Green, Miss Black, Miss Alu et Miss Gold. Des nouvelles gueules prennent possession du quartier et, immanquablement, une agitation esthétique régnera à l’entrée de ville. Aujourd’hui, on s’épanchera sur Miss Gold (officiellement appelée « Bâtiment Home ») au pied de l’avenue; plus tard, sur ses comparses de la place (ceux du M6B).

Quarteron de façades (Hamonic + Masson et Comte Vollenweider).

C’est la réunion des lots M6A2 et 3 de la ZAC Masséna (secteur Bruneseau Nord) qui nous vaut cette volumétrie originale. Il me faut, avant tout, vous préciser qu’une révision du PLU (Plan Local d’Urbanisme) fin 2011 sur ce secteur permît aux immeubles d’habitation de crever le plafond des 37m pour désormais atteindre 50m sous la toise. Enfin, serais-je tenté de dire, nous reprenons de la hauteur! Ce bâtiment fut le premier depuis l’avènement de ceux (les successeurs de Pompidou, Malraux et autres Claudius-Petit) qui voulaient qu’on restât aux ras des pâquerettes, d’autant que notre architecture est efficace si elle est entendue des élus. De jeunes architectes (à peine 20 ans d’expérience) modernes et inventifs y apportent des solutions et une certaine fraîcheur: ils sont de notre génération, ils connaissent nos attentes, ils savent ce qu’ils font et ils le font bien. Et en plus, ça plait aux jurys!

Ici, une fois de plus, le programme était copieux: 2 lots regroupant au total 188 logements (pour moitiés sociaux et en accession) accompagnés de commerces à rez-de-chaussée et de parkings en sous-sol. L’ingéniosité des deux équipes d’architectes (Gaëlle Hamonic et Jean-Christophe Masson, Pierre-André Comte et Stéphane Vollenweider) se révéla tant dans l’association des deux projets en un bâtiment unique que dans l’entame par le centre d’une partie de ce qui pouvait constituer une barre, ouvrant ainsi entre deux excroissances issues d’un socle commun un passage à la lumière du jour en cœur d’îlot. C’est grâce à la verticalité que le bâtiment se transforme avec l’altitude, s’ouvre et dégage des vues et du ciel. Sur la gauche, en gradins vers le sud, des logements en accession aux larges terrasses se développent dans un mouvement légèrement pivotant, comme se tournant vers nous. Sur la droite, orientés est et ouest, des logements sociaux aux longs et débordants balcons s’élèvent dans un feuilleté de planchers décalés. Miss Gold nous régale d’empathie et de gourmandise mordorées, si tant est que nous y mettions un peu de douceur dans notre regard.

Bâtiment Home (Hamonic + Masson et Comte Vollenweider).

L’idée d’architecture s’est longtemps construite sur notre rapport à la pierre, du mur maçonné – et plus tard enduit – lourd et monotone. Mais ça, c’est du passé. Et vous l’aurez deviné, à la question: « À quoi reconnaît-on un bâtiment d’aujourd’hui? », il faut répondre: « Facile, à ses façades, pardi! ». Là-dessus, je vous donne trois indices: ses formes, ses matériaux et ses teintes; tout en vous rappelant que chaque bâtiment est un prototype.

Sur les formes, j’ai ma théorie: tout dépend sur quel côté tombe la pièce. Soit elles sont insipides, soit au contraire elles sont dotées d’un effet « wow ». Je m’explique. Pour convaincre maîtres d’ouvrages et élus, soit vous faites comme le voisin (donc du déjà vu) mais en neuf, soit vous tablez sur l’innovation tous azimuts. Pour ce dernier cas qui nous intéresse, en plaçant le curseur sur « wow, c’est top! » – équivalent à un suranné « ce bâtiment est de fort belle facture, n’est-ce pas!… » – nous sommes dans l’état d’esprit d’une époque qui a changé de paradigmes, qui fait table rase du passé et pointe ses ambitions vers les terrains de l’invention, valeur de modernité, nouvelle divinité. Une sorte de « pourquoi pas… », me souffle quelqu’un qui m’est cher; bref, à bas la monotonie! Et, en l’occurrence, faut dire que Miss Gold dépote un peu quand même avec ses deux proéminences, surtout celle de droite qui parait carrément déglinguée: on dirait presque qu’elle fut découpée au sabre en tranches, toutes retombant aussi sec entassées – comme elles viennent – sous l’effet de la gravité. Mais nous reviendrons sur l’effet « wow » dans le ‘volume 2’, notamment avec Miss Green.

Quant aux matériaux et aux teintes, nous les associerons par nature. De nos jours, les habits de la modernité se confectionnent essentiellement en revêtements métalliques, généralement faits de panneaux composites légers en aluminium anodisés et thermolaqués en usine. Et les teintes au top du palmarès – je vous le donne en mille – sont: or ou métallique, en finition mate ou brillante. Miss Gold est donc au summum de la modernité établie, parce que vêtue à la mode; et, c’est par cet habillage qu’elle affirme son identité, comme une marque de fabrique, celle d’une peau éclatante et flamboyante aux rayons du soleil, esthète en la matière. Bref, elle en jette, et ça plait! Pour mémoire, sachez qu’aux temps de l’Art Nouveau, Paris organisa un concours de façade; alors, aujourd’hui, pourquoi ne pas suggérer une notation des voisins! Signes des temps.

La modernité divise l’opinion. Sachons l’envisager comme la physionomie d’une époque, d’une société, de ceux qui l’animent: une vitrine de ce que nous sommes. Regardons-nous dans ce miroir. Je distingue trois aspects de notre modernité, toujours débattus à Paris: la verticalité, la mixité et la créativité. La verticalité est une solution, un gain de surface en hauteur (pour en libérer autant au sol?). La mixité est un devoir, pour un brassage des populations (et une mise en commun des biens?). Enfin, la créativité est une chance, parce que c’est notre moteur (et quel carburant offre-t-on aux étudiants?). À suivre…

LFAC
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