Reservoir Facs: volume 2.

Tour de la biodiversité, 32-38 boulevard du Général-d’Armée-Jean-Simon (13e).

Livré(es) en 2016 par Édouard François.

Tour de la biodiversité… C’est derrière cette appellation grandiloquente (et à l’adresse impossible à faire tenir sur une enveloppe timbrée) que se profile un triumvirat de façades au pouvoir influent sur l’entrée de ville, reliquat du quarteron précédemment énoncé. Voisines de Miss Gold (Bâtiment Home), elles s’affichent sur la place Faraht-Hached (Paris 13e) avec prétention, voire même avec provocation: l’une nous apostrophant de son moirage verdoyant, l’autre étalant de tout son long sa matité noire, et enfin la dernière nous allumant avec sa carrosserie miroitante. J’ai nommé ces trublions du tissu urbain la bande du M6B2 avec, de droite à gauche: Miss Green (sans doute la cheffe), Miss Black et Miss Alu (ses probables subalternes).

Triumvirat du M6B2 (Edouard François).

Nous sommes toujours dans le secteur Masséna-Bruneseau de la ZAC Paris Rive Gauche, et le PLU révisé s’applique ici aussi: le plafond des logements collectifs atteint désormais les 50m de hauteur, une intention de mixité et de social est insérée dans le programme, et le champ d’expression est grand ouvert sur la modernité et la créativité. Rien de mieux que d’avoir nommé lauréat du concours l’architecte Édouard François dont la réputation n’est plus à faire: un peu de provoc’, pas mal de mixité sociale dans un esprit récréatif, et surtout une large place à l’innovation liée au thème de la biodiversité (pour mémoire, c’est l’auteur de la ‘Flower Tower’). Là encore, ses bâtiments sont tous des prototypes!

Ici, disposant d’un îlot « tête de gondole », il manifesta sa créativité. En érigeant plusieurs bâtiments (5 au total) aux looks distincts et distinctifs, il insuffla un esprit nouveau au riche programme qui lui était demandé: 140 logements sociaux, un foyer de jeunes travailleurs, une crèche associative, des commerces à rez-de-chaussée et des places de stationnement en sous-sol. Les logements sociaux sont accueillis par un bâtiment (en R+5) à l’est, Miss Green (en R+15) au sud et Miss Black (en R+7) à l’ouest. Mitoyenne à celle-ci, Miss Alu (en R+9) loge quant à elle les jeunes travailleurs. Enfin, adossée aux deux derniers, une crèche (en RDC) s’ouvre sur un cœur d’îlot paysager. Par cette disposition, ces volumétries et leurs atours, on peut dire que ces constructions font la nique aux très conventionnelles et plus que monotones partitions haussmanniennes. La modernité est là, et elle est vivante!

Oui, elle est vivante parce qu’elle a un pouvoir esthétique influent sur le citadin; qu’elle plaise ou non, elle ne laisse pas indifférent. Oui, elle est vivante, cette modernité, parce qu’elle nous invite à reconnaître les différences: en gestion de l’espace, en volumétrie et en enveloppe extérieure. Cet îlot a un sens: nous faire redécouvrir notre environnement urbain et sensoriel grâce à son impact expressif. Promenons-nous! On aimerait y pénétrer pour, la tête en l’air, être inondé de ces effets de façades alors plongé au cœur de cet îlot paysager. Et puis en ressortir et en faire le tour, prenant alors un peu de recul et y revenir à cet effet « wow! » qui nous fige dans un statut entre stupéfaction et interrogation. Notre esprit critique redevient vivace car ci-gît la monotonie du tissu urbain en cet extrait impressionnant de modernisme et d’audace. Le modèle ancien est mort, et avec Édouard François un nouvel esprit revendicatif est planté au sud-est de la capitale.

Côte à côte, Miss Alu et Miss Black rivalisent d’éclat. L’une, haute, est habillée de claires plaques rivetées miroitantes, rapiécées et bosselées; l’autre, longue, est couverte de sombres tuiles hexagonales, bien rangées en écaille. Chacune a sa prestance, par son allure et son style vestimentaire; et pourtant, elles se collent l’une à l’autre, faisant fi de leurs différences. Dominante et provocante, distante et proche à la fois, la mère nourricière Miss Green. Nourricière, parce que telle est sa mission: son concepteur l’a voulu semencière. En effet, ici et là sont plantées des graines (de rang 1, nous précise-t-on) qui, depuis cette tour-arbre et sa prise aux vents justifiant par là-même sa hauteur, nourriront son environnement proche par leur dispersion. Et comme la nature prend son temps, les plantations pousseront sur ces balcons filants protégés par une seconde peau, un filet garde-corps en acier inoxydable, sur laquelle s’élèveront des plantes grimpantes grâce à l’installation d’un réseau de récupération et de redistribution des eaux pluviales. Wow!

Quant à son revêtement de plaques de titane, traitées par oxydation et cristallisation (nous dit-on), donnant ce particulier effet de moirage vert, il a un sens premier: coller à cette image de biodiversité qui, sous les climats changeants (pluie, vent, ensoleillement), nous offre un nuancier de verts tel qu’on en voit dans les paysages naturels. Ici se mêlent habilement l’inné (la végétation) et l’acquis (sa forme organique) du bio par le bâti. Les façades de Miss Green ne sont pas statiques mais vivantes, soumises aux aléas climatiques comme à la sensibilité des citadins. Ne pensez pas que ses habitants aient l’impression d’être pris au piège dans cette nasse en treillage métallique mais imaginez plutôt, depuis leurs appartements pour la plupart traversants aux balcons plus ou moins profonds, la vue sur l’horizon, en plein ciel, dont ils profitent.

Dans ces 2 volumes, nous avons parlé de la modernité chez les contemporains en abordant – sur le ton de la légèreté – les thèmes de la hauteur, de la mixité et de la créativité, jalons – selon moi – du temps présent en matière de bâti. Je vous rappelle que l’architecte doit faire avec son temps: les matériaux, les techniques et l’atmosphère d’une société. Certes forts en gueule, ces bâtiments en sont les vitrines, des micro-sociétés ouvertes et en devenir. Et, certainement avec le temps et notre esprit libre, nous trouverons tous que celles du M6A2-3 et du M6B2 ne nous ont pas tant impressionnés que ça! Bientôt, toujours chez les contemporains, nous irons voir du côté de Batignolles si on y est…

LFAC
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