Tours siamoises.

Ensemble des tours Pitard & Super-Montparnasse, 9-15 rue Georges-Pitard (Paris 15e).

Livré en 1969 par Bernard Zehrfuss.

À vrai dire, ça faisait un petit bout de temps que je voulais faire un crochet du côté de chez Zehrfuss, tenant à voir – en vrai – son approche moderne de l’architecture. Cette mise en œuvre, avec une telle rationalité… bon sang ! Et ses systèmes constructifs et structurels, généralement en éléments béton préfabriqués, qui lui valurent d’ailleurs – et plus souvent qu’à son tour – l’objet de tant de critiques venant de l’opinion publique. Pourtant, dès la fin des années 1950, déjà, sa réputation n’était plus à faire. Pensez donc, ne serait-ce qu’en 1958 et 1959, il livra tour à tour avec Marcel Breuer et Pier Luigi Nervi la « maison de l’UNESCO » et avec Robert Camelot et Jean de Mailly (et l’ingénieur Nicolas Esquillan) le CNIT de La Défense où il retrouvait Jean Prouvé qui collabora avec lui pour l’imprimerie Mame (1953) à Tours. Rien que ça ! Cependant, je me défaussa (lâchement) d’aborder les deux monstres sus-cités : d’une, parce que je n’ai que 1000 mots à ma disposition pour décrire et le bâtiment en Y sur pilotis et celui plus massif « en accordéon » et l’extension à fleur de clôture aux larges patios enterrés pour le premier, et de deux parce que le second, ce vaste bâtiment-voûte triangulaire auto-portant est hors de notre champ d’investigation (Paris intra-muros). Alors, j’ai jété mon dévolu non pas sur une tour – tenez-vous bien ! – mais sur deux tours, deux tours accolées (fait rare) situées rue Georges-Pitard dans le 15e arrondissement. Celle au nord, tertiaire et compacte, faite d’une résille en éléments béton préfabriqués (ça tombe bien), c’est la tour Pitard. L’autre au sud, résidentielle et cruciforme, originellement couverte de pâte de verre mais désormais habillée de tôles d’aluminium (nous y reviendrons), c’est la tour Super-Montparnasse. Bref, ici, en 1969, Zehrfuss donna naissance à… des tours siamoises : à chacune sa fonction, à chacune son architecture, mais rattachées l’une à l’autre, inséparables.

Élève de Pontremoli, diplômé et lauréat du Premier Grand Prix de Rome en 1939, Bernard Zehrfuss (1911-1996) – parce que la déclaration de guerre l’empêcha de séjourner à la Villa Médicis – rejoignit aussitôt l’atelier d’Eugène Beaudouin à Marseille puis, l’armistice signé, rallia une communauté d’architectes et de peintres des Beaux-Arts dans ce que l’on appellera le Groupe d’Oppède (Vaucluse) où, résistants, ils réhabilitèrent les demeures en ruine du village. Engagé (nous dit-on) dans les FFL, il fut ensuite envoyé en Tunisie pour y être nommé architecte en chef du nouveau gouvernement puis, de retour en métropole à la fin des années 1940, participant aux CIAM, il finira par entrer définitivement dans les livres d’Histoire de l’Architecture avec, à son actif notamment, les réalisations citées plus haut et, à son revers de veste, assis à son siège de l‘Académie des Beaux-Arts, ses décorations d’officier de la Légion d’honneur et de l’ordre du Mérite.

À l’origine, ces tours s’inscrivaient dans un vaste plan d’aménagement d’ensemble de la zone Alleray-Falguière, plan qui fut rapidement abandonné. Ne reste aujourd’hui comme une singularité au cœur d’un quartier à l’urbanisme disparate que l’ensemble composé certes de Super-Montparnasse et de Pitard, mais aussi de la Centrale Parisienne de Chauffage Urbain (CPCU) locale, toutes trois ayant aussi des façades sur la rue Alphonse-Bertillon. J’aime autant vous alerter d’entrée : les œuvres de Zehrfuss, légitimement, ne devraient pas nécessiter de commentaires, elles se regardent un point c’est tout. Mais bon. Donc, commençons par Super-Montparnasse qui – au passage, quelle appellation ! – est une tour résidentielle en R+30 culminant à 90m. pour 262 logements. Fait particulier, elle intègre dans son pignon sud la cheminée de la CPCU mais, aussi et surtout, elle est équipée d’une piscine et d’un solarium au dernier étage (sympa !), et son hall d’entrée est décoré par l’équipe de design L’Œuf (Bernard Zehrfuss était un promoteur inconditionnel du travail en commun inter-disciplinaire). Son autre particularité, celle-ci constructive, réside dans le choix que les façades ne sont pas porteuses mais constituées de plaques de béton scellées au moment du coulage des voiles porteurs en béton et revêtues de pâte de verre aux tons blanc, gris et noir. Ces voiles règlent son plan en croix permettant de donner à chaque appartement une double orientation, chacun doté d’une profonde loggia. Quant à la Pitard, plus basse (environ 75m.), elle s’organise de plateaux plutôt rectangulaires aux plans libres autour d’un noyau de circulations verticales. Sœur tuteur, droite et d’apparence robuste, Zehrfuss l’habille habilement d’une résille comme cousue à même la peau tel un épais filet l’emmaillotant d’éléments préfabriqués généralement en croix (tiens tiens !) et à facettes, pour que la lumière augmente son effet hypnotique, et en béton poncé, pour lui allouer une tournure minérale, admirable. Notez aussi, au premier niveau, les impressionnantes poutres précontraintes ajourées de baies vitrées (comme des yeux plissés) et portées par des piliers (comme des nez épatés) au rendu résultant d’un coffrage à pans coniques (magnifiques !) et dont on retrouve la forme chez sa sœur, sortie du même moule. Bon sang, la Pitard… quelle pureté esthétique, quelle rationalité plastique!

Et maintenant, la réhabilitation. Ah, que dire de ce phénomène « de mode », et d’ailleurs quel terme, comme s’il fallait regagner une quelconque estime !… Ici, nous dit-on, en 2014, les ayants droit, ainsi que les ABF, la ville de Paris, l’association du Vieux-Paris et le patrimoine du XXe siècle ont tous donné leur accord, achevant de convaincre les copropriétaires (avec le concours d’architectes et d’ingénieurs) qu’il était à leur avantage de procéder à la mise en place d’une isolation thermique par l’extérieur, de double-vitrage aux fenêtres et d’une nouvelle ventilation. Bien, jusqu’ici rien à dire mais, considérant que l’enveloppe d’origine en pâte de verre (certes fort dégradée) devait disparaître sous des tôles d’aluminium, bref mettre en boîte les résidents comme de vulgaires petits pois… faudra quand même un jour statuer sur ce type de solution « tout venant », non ?

Au final, il me semble que Zehrfuss ne faisait qu’expérimenter, peut-être parce qu’il était avant tout un novateur.

LFAC

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