Pouillon… hors les murs.

Résidence Salmson Le Point du Jour, rue du Point-du-Jour (Boulogne-Billancourt, 92).

Livrée en 1963 par Fernand Pouillon.

J’aime autant vous prévenir que si LFAC (dont le champ d’investigation est Paris intra-muros) se déplace au-delà de son pré carré… croyez-moi, ce n’est pas pour la bagatelle ! Et l’argument est imparable, le voici résumé en deux mots : « Fernand Pouillon ». Nous pûmes choisir Meudon-la-Forêt, Marseille ou Alger… nous optâmes pour la proximité, nous déplaçant à Boulogne-Billancourt (Hauts-de-Seine). Au sortir de la station Marcel Sembat, et pour aboutir à la rue du Point-du-Jour, nous devons prendre plein sud le boulevard Jean-Jaurès et cheminer sur quelques centaines de mètres – marcher, c’est philosopher (dicton grec antique). Les joues en feu et reprenant haleine, nous arrivons enfin devant un panneau informatif récompensant notre effort. Il y est indiqué : « Résidence privée. Salmson Le Point du Jour. Réalisation 1958/1960 – Fernand Pouillon Architecte D.P.L.G. ». Nous y voilà.

Sauf que Pouillon était un méridional, et une voix intérieure me dit de contourner le site pour y entrer par le sud… bien sûr, je m’exécutais. Ai-je été guidé par l’indélébile souvenir de lecture de ses Mémoires ? Un ouvrage dense, au style enlevé, où il nous conta sa vie d’architecte anticonformiste, ses prises de risques d’homme d’action, sa gloire et sa déchéance… quasiment un roman. Bien nous en a pris : au commencement de l’avenue Pierre-Grenier, remontant vers le nord-est, se succèdent en épis cinq tours annonçant la dimension et l’ordonnancement de l’ensemble bâti sur un axe nord-sud. À l’angle, plus haute et de plan carré, possiblement un donjon, tandis que les autres, oblongues, formeraient remparts ? Pouillon goûtait les leçons de l’histoire. Aussi, hôte avenant, il nous ménagea un accès prometteur : couvert de pierre, un large escalier à pente douce nous mène à un terre-plein surélevé. Déjà, un vaste espace nous accueille où des bâtiments plus bas à l’est et à l’ouest laissent certainement à l’aube et au crépuscule le soin d’inonder de leurs lumières un grand jardin arboré, complément « naturel » de l’habitat. Des volumes simples, des espaces généreux : ça respire la sérénité. Conciliant tradition classique et modernité, des colonnes plaquées de pierres pré-taillées en imposent sur les deux premiers niveaux… comme celles qu’il érigea pour « Climat de France » à Alger. Ainsi Pouillon faisait sortir de terre la monumentalité. Au-dessus, que des baies vitrées ou loggias à garde-corps métalliques : ouvrir sur l’extérieur et convoquer un dialogue entre résidents et visiteurs, les vues des uns croisant les regards des autres. Tiens, sur la droite, un arbre isolé signale un escalier et une autre séquence ! Urbaniste de talent, il facilite des perspectives, alors on progresse.

Ayant descendu ces quelques marches et passé encore un mur pignon en pierre quasi cyclopéen, nous voilà au bord d’un grand bassin rectangulaire où une sculpture de François Stahly est installée parmi quelques blocs de pierre. Nous le contournons… non, revenons sur nos pas, nous le franchissons, empruntant une passerelle épurée, comme faite d’un geste du poignet. À son modeste point culminant, m’arrêtant un instant, me reviennent alors des propos de l’architecte : « […] à la portée de chacun le confort et la beauté ». Pourtant, alors qu’il devait être son manifeste pour une vie meilleure, le tout au service du sensible, ce projet de 2.260 logements sur un terrain de 7 ha – celui des anciennes usines de la Société des moteurs Salmson – le conduira à sa perte. Lui, lui qui fonda le Comptoir National du Logement (CNL) pour que chaque logement soit « achetable au comptoir comme un paquet de cigarettes ». Lui qui prônait les vertus d’une architecture populaire pour « l’amélioration de la condition des hommes » et contre « le sordide » (comprenez l’ordinaire, mesquin). Toujours sur notre passerelle, milieu du site, le soleil se glisse entre deux tours et illumine l’axe majeur d’un plan-masse parfaitement articulé. Des arabesques, des mosaïques et autres moucharabiehs agrémentent la peau des bâtiments… reliefs touchants de ses expériences, heureuses à Alger et aventureuses dans l’Iran aux paysages pénétrants de beauté. Et partout cette pierre, magnifique ! Par ailleurs, tout semble bien entretenu. Aussi, tout fut admirablement conçu.

Son style : « économie, rapidité et… qualité ». Mais bon sang de bonsoir, qu’est-ce qui lui a pris de vouloir construire mieux, plus vite et moins cher ? Il va finir par se faire des ennemis, s’attirer des ennuis… et ça n’a pas loupé ! Apporteur d’affaires, architecte et agent immobilier, critiqué par la presse et disputé par certains confrères, lui qui voyageait en solitaire, travaillant nuit et jour dans d’incessants déplacements, il avait pourtant l’honnêteté d’exécuter un travail consciencieux. Des associés du CNL, peu scrupuleux, trafiquèrent dans son dos. Il ne se déroba pas mais protesta, on l’accusa et on l’enferma. Du fond de sa cellule, il écrira Les Pierres sauvages (qu’un ami cher m’offrit). Écrire, c’est bâtir une œuvre… et inversement. Alors que Meudon-la-Forêt, monumental, fut réalisé simultanément, nous repensons à son maître E. Beaudouin qui, très tôt, lui avait dit qu’il serait un grand bâtisseur. Et quelle œuvre ! « Celui qui loge les hommes, lui est le véritable architecte. » S’évadant, il rédigea ses Mémoires en exil, en Italie. Sous nos pieds, se garent des voitures, et en surface, encore un jardin, bordé d’un jeu de masse des volumes et d’une galerie à colonnade… comme celle qu’il dressa le long du Vieux-Port à Marseille. Puis vient le panneau informatif, et plus loin, passé la rue, la place Corneille. Sublime ! Même vaste espace : de l’habitat entourant jardin et bassin… intemporel !

Généreux, dévoué à une architecture de masse et de qualité, qu’il donnait à vivre et à voir, immense et rayonnante, tutoyant les dieux puis relégué au fond des ténèbres avant d’être réhabilité, il fut d’abord un grand bâtisseur… et un amoureux de la pierre. Certainement las de cette comédie humaine, il se retira dans son château de Belcastel (Aveyron) qu’il restaura, puis s’est éteint. Nous restent, du dernier des géants, ses écritset notre mémoire, tant que l’on préservera son œuvre bâtie, si sensible, à notre regard… « le luxe gratuit du regard ». Fernand Pouillon (1912-1986).

LFAC

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