La Défense, une saga. 1/3 : Au commencement…

Quartier La Défense (Puteaux, Courbevoie et Nanterre, 92).

Livraison de 1966 (ou 1958, c’est selon) à nos jours.

« AU COMMENCEMENT, Dieu créa les cieux et la terre. La terre était informe et vide : il y avait des ténèbres à la surface de l’abîme, et […] » et, permettez-moi cet audacieux raccourci historique, l’on décida de créer un quartier d’affaires là ! Là, c’est un « territoire » situé à l’ouest de Paris – dans le prolongement du grand axe historique – constitué pour partie de trois communes : Puteaux, Courbevoie et Nanterre. En vérité, la genèse de ce projet ne date pas exactement de l’aube des temps mais plutôt des années 1950, sous la IVe République, où jadis sur cette petite colline des usines s’étaient installées parmi des fermes ou autres bidonvilles. Dès 1951, pour préparer la grande aventure – c’est-à-dire libérer Paris, qui n’avait pas la capacité d’accueil suffisante, d’un quartier d’affaires tout en modernisant le territoire – l’État autorisa Eugène Claudius-Petit (ministre du MRU) d’y acheter des terrains. Puis fut créé en 1958 l’EPAD (l’Établissement public pour l’aménagement de la région de la Défense) afin de faciliter la coordination du travail entre architectes, ingénieurs et administrateurs. Enfin, en 1963, on légiféra sur la fiscalité immobilière, favorisant l’avènement des promoteurs. Bien ! les présentations étant faites, ainsi qu’un vague tour du propriétaire… ne restait plus qu’à faire.

AU PRÉALABLE, entendons-nous bien : il ne s’agissait pas ici de construire une ville de toute pièce, à l’instar de Chandigarh (1950-1965) par exemple, mais bel et bien un quartier d’affaires – comme une « City of London » parisienne et contemporaine – dont les premières études d’urbanisme (1956-1957) furent confiées à Paul Herbé et Robert Auzelle, alors architecte et urbaniste-conseil. Et pour l’alimenter en salariés seront, durant les années 1970, concomitamment mis en service l’extension de la ligne A du RER et un boulevard circulaire raccordé au Pont de Neuilly. Mais revenons à notre planning. Le cadre géographique, juridique et commercial étant posé courant 1963, dès l’année suivante sera approuvé le plan d’aménagement initial (nous y reviendrons) qu’avait finalement confié l’État à Robert Camelot, Jean de Mailly et Bernard Zehrfuss, tous trois Grands Prix de Rome. C’était bien là un minimum vu que ceux-ci connaissaient bien les lieux puisqu’ils étaient déjà « sur site », en cette matinée du 12 septembre 1958 aux côtés du Général de Gaulle et d’André Malraux, où l’on inaugurait… le CNIT. En effet, érigé sur les anciens terrains des usines ‘Zodiac’, le Centre national des industries et techniques – dont Malraux proclama ce jour-là, de sa voie chevrotante, ce grandiloquent : « Depuis les grandes cathédrales gothiques, on n’a rien fait de semblable ! » – était déjà l’œuvre des mêmes Camelot, de Mailly et Zehrfuss accompagnés de l’exceptionnel ingénieur Nicolas Esquillan (concepteur de cette voûte autoportante en doubles minces voiles en béton armé) et de Jean Prouvé aux mêmes qualificatifs (pour les murs-rideaux en façades).

PROLONGEANT AINSI l’axe historique depuis le Louvre via l’Arc de Triomphe, dans le plan initial – du sommet d’une modeste colline jusqu’à la Seine en contrebas – place fut faite au vide. Et cadrant cette perspective au soleil couchant, un carroyage millimétré définissait de part et d’autre les emplacements des futurs tours et espaces libres au sol, constituant ici un ensemble cohérent dont l’assemblage raisonné en fera sa qualité première. Totalement différent des grilles urbaines américaines où les piétons s’agglomèrent dans des couloirs de circulation (les trottoirs) entre façades et automobiles, cet ordonnancement – au semblant erratique – aménagé le long d’un axe majeur permet au piéton une déambulation libre ; d’autant que nos architectes avaient déjà sous le coude le projet de construction d’une grande dalle surélevée, protégeant ses usagers des pollutions automobiles au profit d’aménagements (jardins et commerces) destinés à leurs moments de détente et couvrant la future gare ainsi que son réseau ferré. Les architectes pouvaient donc construire leurs tours sur un sol vierge, mais discipliné. Les prescriptions du cahier des charges étaient cependant contraignantes : ces tours devaient s’inscrire dans un gabarit fixe, en l’occurence 25 niveaux empilés sur une hauteur de 100 m. dans une base circonscrite à 42 x 24 m. de côtés. Et en 1966, vint se poser sur fond de plan initial… la Tour Initiale.

SUPERBEMENT PLACÉE à l’entrée est du quartier, appelée BP31 puis Tour Nobel, elle est l’œuvre de Jean de Mailly et Jacques Depussé (avec le concours de Jean Prouvé). N’ayant rien à envier aux prestigieux « buildings » de New York ou de Chicago, tout juste un petit air – et pas pour nous déplaire – avec la Johnson Wax (1939) de F. Ll. Wright, ne mâchons pas nos mots : cette tour de bureaux est un véritable chef-d’œuvre. L’idée maîtresse, baigner les plateaux de lumière, guida certainement le principe constructif et architectural. Autour d’un noyau central – logeant ascenseurs, escaliers, archives et pièces d’eaux – en béton armé, et érigé par coffrage glissant, s’accroche une charpente acier aux planchers couverts de dalles de béton (noyau et dalles faisant office de contreventement). Rayonnent ainsi par niveau les 1.000 m2 de plateaux libres jusqu’aux façades. Celles-ci, en double peau intégrant la ventilation, sont des murs-rideaux composés de panneaux (en tôle d’acier) vitrés et embrochés sur l’axe des poteaux – pour absorber l’effet du vent – dont les éléments d’angles incurvés (aux quatre arêtes) attribuent à la tour sa silhouette continue si particulière. Véritable signal à l’entrée du quartier, et réalisée en un temps record, cette œuvre exemplaire fut donc aussi un concentré de solutions techniques innovantes. D’autres tours dites de 1ère génération – notamment les brutaliste Europe et rythmée Atlantique (de Delb, Chesneau et Verola) encore dans leurs jus – virent le jour les années suivantes ; de toutes, on en tirera la réglementation des IGH.

S’AFFRANCHISSANT ENFIN des contraintes de gabarit pour augmenter les surfaces exploitables, naîtront les tours de 2ème génération aux deux modèles distincts. On construira aussi la dalle surélevée, jetant dans l’ombre les culées du CNIT et le RdC de Nobel mais prolongeant la perspective en un vaste jardin minéral, alors que survint le 1er choc pétrolier. Une nouvelle génération de tours (la 3ème) verra donc le jour, précédant la construction de la Grande Arche : bref, une saga au coup d’éclat permanent que nous verrons dans le prochain volet. À suivre…

LFAC

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