Immeuble de bureaux « Le Ponant », 5-29 rue Leblanc (Paris 15e).
Livré en 1989 par Olivier-Clément Cacoub.
Miroir, fascinant objet qui attire si souvent notre attention, avec sa surface polie qui nous renvoie la manifestation du temps présent – pourtant à l’envers de ce qui est – avec son contingent de vérités et de mensonges : « Miroir, mon beau miroir… ». Assujetti à une façade, par application il rassemble les points de vue et pourtant il divise les avis : froid ou trop moderne, c’est selon. Peut-être faudra-t-il soumettre aux amateurs de pierres de taille ou autres défenseurs de quelque historicisme inopportun le stade du miroir tel que l’a introduit Lacan comme 1ère étape de structuration du sujet ! Quoiqu’il en soit, supplanté par l’aluminium, il appartient aujourd’hui au passé. Mais hier, il était assurément moderne (par exemple la Tour Total Coupole à La Défense, 1985), ce qui nous arrange bien puisque nous allons remonter le temps : en 1989, un « immeuble-miroir futuriste » (je cite) voit le jour à Paris, œuvre d’Olivier-Clément Cacoub.
Après un séjour de trois ans à la Villa Médicis suite à son Premier Grand Prix de Rome en 1953 (élève de Leconte), Olivier-Clément Cacoub (1920-2008) débuta sa carrière comme architecte-conseil d’une Tunisie désormais indépendante. À Tunis, sa ville natale, il réalisera plus tard notamment le sculptural Hôtel Abou Nawas (1969) et le monolithique Hôtel Africa (1971). Celui qui était surnommé « l’architecte du soleil » fut, durant toute sa carrière, dans les petits papiers des chefs d’État africains pour lesquels il construira, à l’occasion et en revisitant l’esthétique traditionnelle, de nombreux palais présidentiels. En France, il demeura pourtant un quasi inconnu du grand public alors que, dans les années 1960, il aménagea les campus universitaires d’Orléans et de Grenoble – dont le fameux amphithéâtre Louis Weil – après avoir livré en 1965 la Cité internationale des arts de Paris, en collaboration avec Paul Tournon et Ngô Viêt Thu. Encore à Paris, il fut aussi chargé – entre autres choses – du plan d’ensemble du bâti bordant le parc André-Citroën (1991) au nord, de la rénovation du marché Saint-Germain (1995) et de l’aménagement du parc de Passy (2004).

En 1975, déménageant à Aulnay-sous-Bois, les usines Citroën libérèrent à la limite sud-ouest de Paris un site de près de 24 hectares. S’étant rapidement portée acquéreur, la Ville de Paris établira dès juin 1976 les contours de la future ZAC Citroën-Cévennes (élargie à 32 ha) en adoptant le parti d’y aménager un programme modèle constitué d’un grand parc d’un seul tenant (14 ha), d’un bâti – qui lui sera subordonné – rassemblant plus de 3.000 logements accompagnés d’équipements publics au nord-est, et enfin à la pointe sud-ouest d’un bâtiment de bureaux « important et prestigieux ». Aux entrées principales situées rue Leblanc, où il aura en 2000 pour vis-à-vis l’Hôpital Européen Georges-Pompidou, cet « important et prestigieux » immeuble de bureaux – appelé, avec toute la solennité qui lui incombait, Le Ponant – aux 55.000 m2 de SHON sur 40.000 m2 de sous-sols élève ses hautes façades (35 m en R+9) principalement le long du jardin des roches, du jardin des métamorphoses, du canal aux nymphées et face aux autres compositions imaginées par les lauréats (les équipes Provost-Viguier-Jodry et Berger-Clément) du concours d’aménagement du parc inauguré en 1992.
Et c’est évidemment tentant compte du contexte urbain, ce vaste espace vert où s’ordonneront également des jardins sériels et des plans d’eaux et des édicules joliment ouvragés, que Cacoub prit le parti non seulement d’y bâtir un bâtiment traversant mais aussi de le vêtir de dalles de verre réfléchissant. Il voulut tout d’abord y ériger, vu la situation géographique, l’équivalent d’une porte d’entrée de ville – celle d’une ville idéale, au regard du programme de la ZAC – par le biais d’un immeuble-porte ajouré que l’on traverse. C’est pourquoi, ici et là, via des placettes aménagées, s’ouvrent des perspectives – où l’on se laisse glisser entre d’immenses portiques – qui nous mènent vers le parc. Ceux-ci, aux éléments verticaux abritant les cheminées d’aération des sous-sols et horizontaux logeant des bureaux de prestige suspendus avec vue imprenable, participent à cet impressionnant travail en volumétrie, dans un jeu de pleins et vides monumentaux, et semblent accorder au bâtiment comme un sentiment de légèreté et, à celui qui le traverse, une sensation de liberté de mouvement. Bref, l’architecte a réussi ici un véritable tour de force, rendant l’imposant non oppressant.





C’est alors qu’il fallait trouver une peau à ce bâtiment. Eh bien ce sera un revêtement intégral qui, d’une part, agira comme un masque permettant à l’architecte une flexibilité d’utilisation de l’espace intérieur (bureaux simple ou double hauteur, cloison de séparation sur telle ou telle trame verticale) et, d’autre part, aura une esthétique à fort impact visuel tel un tableau vivant où s’observent les tonalités changeantes du ciel, du parc au fil des saisons, du bâtiment lui-même au détour de sa volumétrie et enfin de nous-même, spectateur et témoin : des façades en vitrage réfléchissant, de pied en cape, miroir du programme. Le choix de ce verre, à couche pyrolytique, qui offre par-delà sa garantie d’intimité une basse émissivité de chaleur en sus de l’esthétique qu’il renvoie sur 3 ha de façade était éloquent et moderne car, je vous le rappelle, être moderne c’est utiliser des matériaux contemporains et se refuser à reconduire les formes appliquées par les anciens. Et pour ce faire, Cacoub travaille bien sûr la volumétrie générale du bâtiment, jouant notamment sur les pleins et les vides (nous l’avons vu) mais aussi sur les angles – tantôt ouverts, tantôt fermés ou droits parfois – accordant à l’effet miroir du revêtement toute l’étendue de sa dimension ludique, le génie du miroir renvoyant au génie du lieu par de grands aplats bleu et vert, le ciel et le bas monde… et nous avec, dans un mouvement perpétuel.
Cet immeuble de bureaux aux multiples entrées (de A à G) occupé, aujourd’hui, par des entreprises et la Préfecture de la région Île-de-France, marque son territoire par son identité somme toute singulière qui rappelle à chacun que la transparence absolue – utopie sociale – aboutit à la négation de l’architecture. Ici, tout est architecture : liberté formelle, matériau contemporain et implication dans le contexte urbain.
LFAC
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